Le Déni
"Ils sont au pouvoir,
elles sont au service"

Avis “La place des femmes et des jeunes filles dans les espaces publics dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville”, 22 juin 2018

Nous avons été auditionnées par le Conseil national des villes dans le cadre d’un avis sur la place des femmes et des jeunes filles dans les espaces publics dans les quartiers prioritaires de la ville. Les auditions ont porté sur la place symbolique des femmes dans la société hier et aujourd’hui : toutes les religions, notamment celles du Livre, et toutes les cultures ont durablement ancré dans l’inconscient collectif leur rôle social de dominées, d’objets assujettis et non de sujets. Il est donc nécessaire de « déconstruire ». Lutter aujourd’hui pour l’égalité, la liberté et l’émancipation des jeunes filles et des femmes est avant tout une question politique. Compte rendu de notre audition.

Pour lire l’avis complet :

La place des femmes dans la religion catholique

« D’une certaine façon, la description biblique du péché originel dans la Genèse “répartit” les rôles qu’y ont tenus l’homme et la femme. » Jean-Paul II

Déconstruire les stéréotypes, c'est ce que nous avons été amenées à faire en écrivant notre livre, à partir des questions : pourquoi les femmes n'ont ni la parole ni le pouvoir dans l’Église catholique, pourquoi les hommes sont au pouvoir quand les femmes sont à leur service.

En travaillant les textes de l’institution, nous avons mis au jour la cohérence d’un système homme-femme bien différencié et inégalitaire, qui ritualise la domination masculine, héritée de la société patriarcale dans laquelle l’Église était née, et qu’elle a sacralisée.

En effet, l’Église a construit des archétypes féminins et masculins qui fondent et légitiment la division sexuée des rôles. Notre recherche nous a permis de comprendre comment fonctionnent les stéréotypes sexistes dans la société et pourquoi et comment l’Eglise se bat pour les maintenir. Son arme est le différentialisme qui rejoint de nombreux réflexes sociétaux. C’est pourquoi nous avons intitulé notre intervention, l’Église catholique, matrice des stéréotypes sexistes. c Dans l’Église, les femmes sont définies par des récits et des mythes. La perversion est de faire croire qu’un récit mythique qui n’est qu’une fiction serait la vérité. Le stéréotype agit comme un raccourci du mythe, il est comme l’évidence d’une pensée mythique naturalisée qui n’est plus remise en cause et laisse la pensée captive.

La tradition catholique a construit deux archétypes féminins : Ève et Marie qui assignent aux femmes des rôles : celui de la pécheresse ou de la sainte, du mal ou du bien, et qui les culpabilisent et les infériorisent.

Coupable

Ève est la figure du péché. La première femme, est pensée par l’institution à partir de « son » péché, associée au serpent, à la ruse, à la curiosité, à la chute d’Adam : des clichés qui alimentent toujours le discours sur les femmes. Ce modèle, qui symbolise leur infériorité, sert de matrice : il est l’arrière-plan de leur culpabilisation.

L’Église a théorisé cette culpabilité originelle qui est une source principale de misogynie depuis deux mille ans. Pour punir Ève, coupable d’avoir désobéi et mangé le fruit, le texte de la Genèse légitime la domination masculine dans la sexualité : « Le désir te portera vers ton mari, et lui dominera sur toi (Gn 3,16). » Cette phrase autorise depuis des siècles la soumission sexuelle attendue des femmes, ce que notre époque a nommé la culture du viol.

Comme beaucoup, Jean-Paul II est bien persuadé que les femmes sont tentatrices : « Toute la constitution extérieure du corps de la femme, son aspect particulier, les qualités qui, avec la force d’un attrait perpétuel, sont à l’origine de la “connaissance” dont parle Gn 4,1-2 (Adam s’unit à Ève, sa femme), sont en étroite liaison avec la maternité22. » Ce serait donc à cause des femmes que les hommes auraient des pulsions. C’est aussi l’argument des violeurs : « Elle m’a provoquée.»

À cette supposée culpabilité des femmes héritée d’Ève, s’oppose la pureté de Marie, dont la maternité sauverait les femmes du péché originel et de leur impureté.

Pure

En réalité, Marie est une figure faussement valorisante. Icône de pureté, elle est surtout vierge. Pour l’Église, le péché s’est longtemps confondu avec la sexualité et en particulier la sexualité féminine. Avec Marie, nous entrons dans le sexisme bienveillant et nous tombons dans la double injonction.

La virginité de Marie est présentée comme indissociable de sa maternité : elle est la vierge mère. Or une vierge n’est pas encore mère et une mère n’est plus vierge. C’est pourquoi aucune femme ne sera jamais à la hauteur de ce modèle inaccessible et secrètement dévalorisant.

Ève et Marie enferment les femmes dans les rôles fictionnels qui imprègnent les esprits jusqu’à aujourd’hui. Coincées entre un modèle dévalorisant et un idéal sublime, elles se sentent toujours un peu coupables.

ll ne s’agit pas seulement de les rendre coupables, mais aussi de les faire acquiescer à la place qui leur est assignée, celle de servante.

Consentante et servante

Oui est la seule parole autorisée pour les femmes. L’Annonciation est un texte clé qui a contribué à faire de l’obéissance, une vertu et un idéal pour elles. Ce récit établit le mythe du consentement, que la réflexion philosophique et politique déconstruit aujourd’hui. Cette notion est en effet ambiguë car elle suppose des rapports de pouvoir et une asymétrie et, elle cache le plus souvent l’emprise.

La réponse de Marie à l’ange Gabriel (le fiat) « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole (Luc 1,38) », résume l’attitude attendue des femmes. Car Marie est donnée en modèle à toutes les femmes et ces paroles de l’Annonciation ont structuré l’inconscient collectif. C’est pourquoi, apprendre à dire non est un long chemin pour les femmes, car elles transgressent alors la norme sociale.

L’intériorisation par les femmes de leur statut de servante dépend de ce consentement à la domination masculine. C’est ce que révèle aujourd’hui la libération de la parole des femmes : elles ne consentent plus, donc elles parlent.

En plus du texte de l’Annonciation, l’Église s’appuie sur celui de la Genèse pour affirmer que la femme est créée pour aider l’homme masculin : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie (Gn 2,18). » Commentant ce texte, Jean-Paul II y voit la preuve que : « Depuis l’origine, donc, dans la création de la femme est inscrit le principe de l’aide. » Un programme qui arrange bien l’homme masculin, qu’il soit mari, père, frère, prêtre ou patron.

Muette

Les femmes sont priées de se taire dès saint Paul : « que les femmes se taisent dans les assemblées : elles n’ont pas la permission de parler ; […]. Si elles désirent s’instruire sur quelque détail, qu’elles interrogent leur mari à la maison (1 Co 14,34 -36). »

Le mansplaining nous apprend que finalement les choses n’ont pas tellement changé depuis saint Paul. Le bon féminin se tait et dit oui, à l’image de Marie.

Punie

Si les femmes transgressent les normes qui leur sont imposées (consentement, obéissance, silence, statut du service), elles sont punies, comme Ève.

Parce que, comme femmes et non clercs, nous avons écrit un livre qui interroge le pouvoir dans l’Église, nous avons été censurées et dénigrées par les milieux et les médias catholiques mais aussi dans un Journal comme Le Point. Nous avons été renvoyées au mythe d’Ève, présumées coupables et présumées bavardes.

Les archétypes catholiques masculins

Qu’en est-il des archétypes masculins ? La domination masculine est inscrite dans le droit et la théologie catholiques.

Légitime

Le droit canon institue le masculin en excluant les femmes du sacrement de l’ordre : « Seul un homme baptisé reçoit validement l’ordination sacrée (canon 1024). » Ces quelques mots « seul un homme » légitiment la séparation et la hiérarchisation des sexes. Les femmes ne sont même pas nommées.

Cette division entre les sexes autorise la domination de l’un sur l’autre : « Seuls les ordonnés [donc des hommes] sont capables d’exercer le pouvoir de gouvernement dans l’Église (canon 129). » L’Eglise attribue donc au masculin deux capacités : le sacré et le pouvoir.

Misogyne

Le droit canon interdit aux prêtres de se marier et dit des femmes qu’elles sont dangereuses. Les clercs ont décidé de rester célibataires : une décision qu’ils n’assument pas et qu’ils transforment en faute des femmes : « Les clercs se conduiront avec la prudence voulue dans leurs rapports avec les personnes qui pourraient mettre en danger leur devoir de garder la continence ou causer du scandale chez les fidèles (canon 277 §2). »

Ce danger nommé dans le droit est donc présenté comme sexuel. Le droit canon instaure donc la supériorité masculine en dévalorisant les femmes.

Divinisé

L’archétype catholique du masculin c’est l’idée d’un Dieu Père et fils. Le masculin est donc divinisé. Le Catéchisme dit que Jésus est « naturellement Fils de son Père par sa divinité, naturellement fils de sa mère par son humanité. »

Dans le récit de l’Annonciation, Dieu est mis en scène, comme le principe masculin nécessaire à la conception de Jésus : « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre (Luc 1,35). » Ce récit qui voudrait gommer l’acte sexuel, le révèle à travers des paroles explicites : “viendra sur toi” “la puissance” “te couvrira”. La scène est banale : une puissance masculine soumet une femme, Marie, et ce texte sur la conception de Jésus peut aussi être entendu comme une violence masculine.

Tout-puissant

De plus, le fait de vouloir penser l’engendrement d’un Dieu père à un Dieu fils, rejoint une question qui se pose à l’esprit humain depuis les origines, comme l’a théorisé Françoise Héritier : pourquoi les hommes ne font-ils pas de fils, alors que les femmes font des fils et des filles ? La Genèse y a répondu, en inversant la biologie. Le chapitre 2 raconte en effet comment Ève est née en second, tirée d’Adam. Ce qui est une appropriation directe de la capacité féminine de faire des enfants par le masculin.

Chef

Dans l’imaginaire catholique, l’homme est pensé comme chef et sauveur de la femme. Certains écrits de saint Paul ont connu une fortune sans précédent car ils correspondent à cette représentation du monde : « La tête de tout homme, c’est le Christ ; la tête de la femme, c’est l’homme ; la tête du Christ, c’est Dieu (1 Co 11, 3). » L’attribut principal de l’homme, c’est la tête. À lui, l’intelligence, la raison, la parole, le pouvoir, la gloire divine.

Parlant et sachant

La parole est la marque du pouvoir. L’institution a structuré son système autour d’une parole exclusivement masculine. Ainsi du droit, des dogmes, des écrits des papes, des commentaires sur l’Écriture, de la plupart des travaux de théologie et d’exégèse, jusqu’aux homélies dominicales. Si la pensée avait été partagée avec les femmes, elles n’auraient certainement pas produit autant de misogynie.

Sexe du pouvoir, sexe du service, nous sommes encore conditionnés à notre insu par ces modèles. L’influence de l’Église ne s’arrête pas là.

Le combat de l’Église pour le maintien des stérérotypes sexistes

Face à l’évolution des droits des femmes, l’Église réagit en développant une rhétorique contre l’égalité et en menant des combats politiques pour influencer les mœurs et les lois.

Une stratégie rhétorique
L’invention de « la théorie du genre »

L’Église a élaboré depuis une quarantaine d’années, un arsenal de pensée pour contrer le mot d’égalité, avec un vocabulaire qui lui est propre. C’est une bataille pour laquelle elle a mis en place une véritable stratégie.

Sa lutte prioritaire a été de diaboliser les recherches sur le genre qui invalident la division sexuée des rôles, l’organisation sociale et la pensée théologique de l’Eglise. C’est pourquoi elle identifie le genre comme son ennemi.

L’Académie catholique de France qui siège aux Bernadins a publié, en 2014, un texte qui résume la pensée de l’Église contre l’égalité : « Nous nous sommes efforcés de mettre au jour les différents aspects de l’idéologie de l'indifférenciation sexuelle aujourd’hui véhiculée par nos administrations. Elle se manifeste par des textes juridiques qui distillent un doute sur la complémentarité homme/femme, et aussi par des actions multiples dans le milieu éducatif dès le plus jeune âge, par exemple la nécessité absolue de la lutte contre l'homophobie ou les nombreuses initiatives de promotion de l’égalité des droits. »

L’invention de « la théorie du genre » a été le résultat d’un travail du Vatican, de l’Opus Dei et d’un certain nombre d’acteurs catholiques. Forgée par le Vatican, l’expression est passée dans le langage et elle est devenue l’idéologie à démasquer.

Le genre est l’ennemi identifié

Ce langage institutionnel critique s’est mis en place à partir des années quatre-vingt-dix, dans le contexte des conférences onusiennes du Caire et de Pékin qui abordaient les questions de santé, d’éducation des femmes et d’égalité des sexes.

Ce travail du Vatican aboutit, en 2003, à un document intitulé Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques, qui consacre trente-cinq pages à “la théorie du genre” et qui dénonce le lien entre le genre et ce qui serait un « déni de la vocation maternelle des femmes. »

Ce discours se présente comme un travail pseudo-scientifique et sociologique, alors qu’il s’appuie toujours sur la Genèse considérée comme le fondement majeur de l’anthropologie catholique. Les débuts de la Genèse racontent comment l’homme masculin nomme les animaux, puis la femme, en dernier lieu, et a pouvoir sur la création et sur la femme. Ils racontent aussi comment la femme est créée en second après l’homme.

Le discours masculin ecclésiastique s’attribue le fait de dire la vérité. Toute autre réflexion sera dénoncée comme une attaque contre Dieu ou contre la nature. Ce vocabulaire est passé dans les médias qui parlent maintenant de « bataille du genre ».

Une lutte antiféministe

Cette lutte rhétorique s’est construite autour d’un certain nombre d’expressions différentialistes très populaires chez les catholiques « génie féminin » « dignité de la femme » « complémentarité des sexes » « la différence féminine » « l’égalité dans la différence »… Ce pseudo ”féminisme”, qui est en fait un antiféminisme, est porté par une nouvelle génération catholique militante et relayé par les médias.

L’Église revient sans cesse sur la complémentarité des sexes. La femme est présentée comme plus capable de service et d’attention à l’autre que l’homme dans un discours naturaliste : « Parmi les valeurs fondamentales qui sont rattachées à la vie concrète de la femme, il y a ce qui est appelé sa “capacité de l’autre”.30 », écrit par exemple le futur Benoît XVI.

Argument de base des théocraties, la complémentarité a pour objectif de justifier la différence d’obligations et de droits selon une réalité qui serait biologique. Or l’institution et les catholiques croient à ce déterminisme des rôles. Car il lui permet de maintenir les hommes au pouvoir et les femmes au service.

Théorie du genre, génie féminin, complémentarité des sexes, c’est par la rhétorique que l’Église dénigre les recherches sur le genre et impose sa pensée contre le féminisme.

Les papes accusent les femmes

L’opérateur de pensée des papes est bien le concept de domination et non celui d’égalité. Le futur Benoît XVI écrit en 2004 : « Aux abus de pouvoir, la femme répond par une stratégie de recherche du pouvoir. » Vouloir s’émanciper pour les femmes serait donc vouloir dominer les hommes.

Le pape François affirme de son côté : « Je crains la solution du machisme en jupe car la femme a une structure différente de l’homme. » Parler de machisme en jupe c’est renvoyer aux femmes ce que les papes pratiquent en réalité, le pouvoir.

La misogynie du pape François

Le pape François est un très bon exemple d’une rhétorique misogyne. Les images qu’il prend pour parler des femmes les réduisent à leur dimension biologique et sexuée (florilège : des lapines, des vieilles filles, des grands-mères infécondes, mais aussi des fraises, des repasseuses…).

Sa pensée les renvoie toujours au péché d’Ève comme le prouve sa dernière lettre apostolique « Miséricorde et pauvreté ». Ce texte commence par évoquer la figure de la femme adultère, puis il est incarné par celle de la prostituée. D’emblée, le péché est donc identifié au féminin, alors que dans la suite du texte, ce qui se rapporte aux hommes est du côté du salut et de la miséricorde.

De plus, l’exemple que le pape choisit pour illustrer le péché contemporain est l’avortement : « Je voudrais redire de toutes mes forces que l’avortement est un péché grave35. » Il désigne le corps des femmes comme le lieu même du mal à combattre. Le contrôle du corps des femmes est bien l’enjeu du pouvoir clérical.

Après avoir évoqué la stratégie rhétorique de l’Eglise, examinons sa stratégie politique.

Des luttes politiques
Le Saint-Siège, une autorité morale qui se pense supérieure aux autres

Le pape a une portée médiatique considérable et le Saint-Siège a le statut d’observateur permanent à l’ONU, depuis 1964. Le Saint-Siège se définit lui-même comme une Autorité super partes (au-dessus des parties). » Il se pense donc au-dessus de toute instance.

Fort de cette supériorité, le pape François veut influencer le droit de l’ONU. Lors d’un discours en 2015, parlant de « colonisation idéologique », une formule qui inclut ce qu’il appelle « la théorie du genre », les droits pour les personnes homosexuelles et les droits des femmes, il a demandé à l’ONU que soit reconnue « une loi morale inscrite dans la nature humaine elle-même, qui comprend la distinction naturelle entre homme et femme. »

L’instrumentalisation du concept de dignité

Un mot emblématique du combat idéologique de l’Eglise contre l’égalité est celui de dignité car il permet de masquer celui d’égalité. Mgr Parolin, numéro deux du Vatican a ainsi affirmé : « Nous avons mis l'accent sur la dignité de la personne humaine, comme fondement de tout l'ordre international. »

Mentionner seulement la dignité c’est refuser de voir que la liberté et l’égalité sont des principes politiques de portée universelle, au fondement de la déclaration des Droits humains.

En remplaçant le concept d’égalité, par celui de dignité, le Vatican exerce une violence contre les femmes. Il s’est ainsi constamment opposé aux lois qui leur donnaient une autonomie. Aujourd’hui, son effort principal est de garder le contrôle sur leur corps. Sa position actuelle, depuis 1968 et l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI, est de récuser tout moyen contraceptif et de condamner tout avortement, même en cas de viol et même si la vie de la femme est en danger.

Le lobbying « pro-vie »

Né aux États-Unis, en 1972, sous l’impulsion des évêques américains avec le soutien du Vatican, le mouvement pro-vie a ainsi essaimé dans le monde entier et en particulier en France avec un réel pouvoir de nuisance. Parler de pro-vie ou organiser des marches pour la vie est une nouvelle manipulation du langage.

En dénonçant régulièrement « une mentalité contraceptive » associée à « une culture de mort », le Vatican veut faire passer les victimes pour des coupables ; c’est un processus pervers, puisque la vraie question est la vie-même des femmes.

La restauration d’une identité catholique

Entre la désignation du genre comme ennemi à la fin des années quatre-vingt-dix et l’explosion militante “anti-genre” à la fin des années deux-mille, l’institution a préparé les esprits et a formé un certain nombre d’acteurs catholiques.

L’Église d’aujourd’hui est le résultat du très long pontificat de Jean-Paul II, de ses écrits innombrables sur le rôle de la femme et sur la famille, de sa reprise en main du clergé, de son intense lobbying politique. Il a multiplié les rencontres et les rassemblements comme les JMJ, creuset des organisations militantes d’aujourd’hui et créé des instances pour diffuser sa pensée.

Conséquence de cette politique : des conférences pour diffuser les arguments anti-genre accompagnent la mobilisation de rue entre 2011 et 2013, en France, de l’affaire des manuels scolaires accusés de vouloir introduire la théorie du genre dans les programmes de SVT de 1ere40 à la lutte contre le mariage pour tous.

La controverse créée autour de la théorie du genre a été l’opportunité de restaurer un catholicisme identitaire, autour d’affirmations doctrinales : la famille hétérosexuée, le rôle et la vocation de la femme comme mère, la complémentarité des sexes, mais aussi « les racines catholiques de l’Occident et une “saine laïcité” — l’expression est une invention de Benoît XVI — définie comme une laïcité respectueuse de ces racines et en mesure de préserver ce qui serait l’identité de l’Occident ».

S’est ainsi structuré un discours de réaction agissant comme une contre-hégémonie culturelle et qui passe par une lutte obsessionnelle contre les lois d’égalité.

Les pressions contre les évolutions sociétales

A la Toussaint 2012, à Paray-le-Monial, ville où se tient l’influente communauté nouvelle catholique de l’Emmanuel, se rencontrent « des têtes de réseaux » pour se structurer en action politique. » C’est l’acte de naissance des futures Manifs pour tous et de leurs descendants.

Après cette rencontre, l’épiscopat a appelé les catholiques à descendre dans la rue pour dire leur opposition au mariage des homosexuels. Comme l’analyse Danièle Hervieu Léger : « Les argumentaires mobilisés par l’Église — fin de la civilisation, perte des repères fondateurs de l’humain, menace de dissolution de la cellule familiale, indifférenciation des sexes, etc. — sont les mêmes que ceux qui furent mobilisés, en leur temps, pour critiquer l’engagement professionnel des femmes hors du foyer domestique ou combattre l’instauration du divorce par consentement mutuel. »

Les suites de ces mouvements d’opposition ont fait échouer les ABCD de l’égalité, expérimentation lancée à l’automne 2013, qui avait pour objectif d’apprendre l'égalité. Ces luttes ont été menées en brandissant des peurs, notamment celle de la confusion des sexes et des rôles.

Pour conclure, l’Église catholique déploie deux types de discours différents selon les sexes, elle a sacralisé un rapport de pouvoir hiérarchique entre eux. Son droit et sa théologie, ses récits, ses mythes construisent une asymétrie où les hommes sont légitimement au pouvoir et les femmes naturellement au service. Elle se dit experte en humanité, mais elle met au service la moitié de l’humanité tout en l’infériorisant et elle pratique impunément une domination masculine revendiquée.

Elle mène une action concrète de lutte contre les droits des femmes et des homosexuels, en usant de son influence diplomatique, de son aura médiatique et de sa force de lobbying.

Dans le travail de lutte contre les stéréotypes il ne faudrait pas oublier les religions, il faudrait peut-être commencer par les religions. Jeanne Deroin, première candidate aux élections législatives de 1849, l’avait déjà compris : « Et l’homme osa dire à la femme, Dieu le veut ! »