Le Déni
"Ils sont au pouvoir,
elles sont au service"

Extraits

Nous vous proposons quelques extraits significatifs de notre livre, au fil des chapitres et des thématiques

Notre méthodologie

Il n’est pas habituel que des personnes autres que les clercs interrogent la doctrine officielle de l’Église qui regroupe trois types d’écrits : le droit canon, le catéchisme et l’enseignement des papes délivré par le magistère. Les “fidèles” doivent s’y soumettre et la prendre pour acquise. Or, l’analyse en profondeur des textes officiels de l’institution et de la tradition fait apparaître une vision anthropologique claire, où se dessinent des rôles distincts pour les hommes et les femmes.

Car interroger les enseignements de la tradition à partir d’une double confrontation, celle des apports de la pensée et de la science contemporaines et celle des nouveaux acquis de l’exégèse biblique, amène à découvrir les rouages et la logique de ce système multiséculaire. Cette méthode permet de dégager les mécanismes de pensée qui conduisent à des présupposés sur la condition féminine et masculine, d’expliquer les raisons cachée des silences et des scandales de l’institution et de comprendre comment un corpus de textes ecclésiastiques a contribué à forger les mentalités depuis des siècles. (Introduction, p.22)

L’invention du thème de la virginité de Marie

Comment l’Eglise a-t-elle développé le concept de la virginité de Marie ? La pauvreté des sources scripturaires contraste avec l'omniprésence de Marie dans la réflexion et la foi catholique.

On trouve une seule occurrence chez Paul parmi les quatorze épîtres qui lui sont attribuées, et c’est la plus ancienne référence la concernant. Il ne la nomme pas, ni ne parle de sa virginité. Il écrit dans l’Epître aux Galate, probablement rédigée entre 54 et 57 : « Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme ».

Les sources se réduisent essentiellement aux récits de l’enfance, rapportés dans deux évangiles, ceux de Mathieu et de Luc. Les récits de l’enfance qui sont des écrits tardifs et dont le genre littéraire diffère de celui des autres textes rapportent, selon le bibliste Charles Perrot, « la réflexion chrétienne sur la naissance de Jésus dans le style imagé des histoires pieuses de l’époque » « plusieurs éléments semblent empruntés au monde paîen ambiant ». Leur interprétation prête donc à discussion. (Chapitre 1, p. 27 et 28)

Ève et Marie : la construction de deux archétypes féminins

La virginité systématiquement associée à la figure de Marie vient s’opposer au péché qui caractérise la figure d’Ève dans la Genèse. Marie, vierge, vient restaurer Ève, pécheresse. Depuis les origines du christianisme, la tradition s’est fixée sur ces deux archétypes féminins : Ève et Marie.

Pour étayer sa démonstration selon laquelle Marie vient sauver la féminité entachée par le péché d’Ève, Jean-Paul II se réfère au chapitre 3 de la Genèse, qui raconte les récits de la chute, où le serpent s’adresse à la femme pour l’induire en tentation et lui proposer le fruit défendu qu’Ève mange et propose à son tour à Adam : « D’une certaine façon, la description biblique du péché originel dans la Genèse “répartit les rôles” qu’y ont tenus la femme et l’homme . »

Plus tard, certains passages de la Bible s’y référeront encore, par exemple la Lettre de saint Paul à Timothée : “C’est Adam qui fut formé le premier, Ève ensuite. Et ce n’est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme”. » (Chapitre 1, p. 32)

Le péché originel, une élaboration de saint Augustin

La doctrine du péché originel est une invention de saint Augustin, qu’il élabore à la fin du IVe siècle à partir de l’épître aux Romains. Selon cette doctrine, les hommes naissent tous contaminés par le péché. Augustin parle de péché, là où ses prédécesseurs parlaient de « mort » ou de « corruption », pour évoquer l’état de la nature humaine, et le conçoit non comme une imitation du péché d’Adam, mais comme une maladie génétique avant l’heure. Le péché originel crée une vision très noire de la nature humaine et la faute en incombe à Ève.

Quand il construit sa théorie du péché originel, saint Augustin la relie explicitement à la sexualité : « Saint Augustin raconte que les premiers hommes, après avoir désobéi à Dieu et mangé du fruit défendu, “eurent honte de leur nudité et se firent des pagnes avec des feuilles de figuier”. Il en conclut : “De là donc (ecce unde) : ce qu’Adam et Ève cherchent à dissimuler, c’est l’endroit par où le premier péché est transmis” (Serm. 151,8).

C’est le rapport sexuel, ou plus précisément le plaisir sexuel qui, selon saint Augustin, a transmis le péché originel et continue de le transmettre de génération en génération. L’idée de péché est donc liée à l’acte sexuel, et particulièrement à la femme, ontologiquement présentée comme la tentatrice. (Chapitre 1, p. 34 et 35)

Ève ou Marie : un modèle impossible

Marie, la femme sublime, n’existe qu’en référence à la femme fautive de la Genèse. Pour le pape Jean- Paul II, Marie vient racheter Ève et par conséquent chaque femme : « En Marie, Ève redécouvre la véritable dignité de la femme, de l’humanité féminine. Cette découverte doit continuellement atteindre le cœur de chaque femme et donner un sens à sa vocation et à sa vie. » En opposant Ève et Marie, le pape trace un axe bien-mal sur lequel il situe ce qu’il appelle « l’humanité féminine ».

Ce mode de raisonnement binaire enferme les femmes dans une dualité manichéenne qui les met face à une fausse alternative : être Ève ou Marie.

La dualité Ève- Marie instaure un imaginaire sur les femmes, qui les déréalise. En s’identifiant à Marie, il s’agit pour elles de chercher la perfection loin de la vie réelle. En étant comparées à Ève, elles sont dévalorisées et culpabilisées. Ève ou Marie : le langage courant exprime cette fausse alternative par l’expression misogyne, « la sainte ou la putain ». (Chapitre 1, p.61)

Vierge et mère, une double injonction

Le modèle est impossible à atteindre non seulement parce qu’il est sublime, mais aussi parce qu’il est paradoxal, le paradoxe étant une double pensée d ont l’une contredit l’autre. « Vierge » et « mère », les deux termes s’excluent l’un l’autre. Une fois mère, la femme n’est plus vierge ; tant qu’elle reste vierge, elle n’est pas mère.

[Cette] double contrainte n’est rien d’autre que l’absurde déguisé en vérité positive. Puisqu’il est impossible d’être vierge et mère à la fois, la double contrainte met l’esprit dans une certaine confusion. L’absurdité de la demande appuyée sur le modèle de Marie paraît pourtant logique. La pensée est comme sidérée, car prise entre deux choix incompatibles. L’esprit se consume dans le désir de bien faire et la culpabilité de savoir qu’il ne va jamais y arriver.

L’intériorisation de la double contrainte mariale et la déception de ne jamais pouvoir atteindre ce double idéal ont pour effet une dévalorisation des femmes par elles- mêmes. La double injonction incarnée par la figure de Marie est donc un moyen d’emprise sur les femmes.

Si Marie n’est plus un modèle pour les Françaises, la société a intériorisé depuis longtemps la nécessité d’un modèle pour les femmes. La femme hyperbolisée, comme Marie, ou hypersexualisée, comme Ève, sont des sources d’influence majeure pour la représentation que les femmes ont d’elles- mêmes. (Chapitre 1, p.68, 70, 71, 72)