Le Déni
"Ils sont au pouvoir,
elles sont au service"

Conférence débat du 28 novembre 2018 à la demande des Enfants de Cambacérès : L’Église face à l’homosexualité : discriminations, paradoxes et méthodes

En 2012 et 2013, des catholiques français sont descendus très nombreux dans la rue pour dire leur opposition au projet de loi du mariage pour tous. Les actes d’homophobie ont corrélativement augmenté suite à ces manifestations et la parole homophobe s’est libérée. Ce qui invite à poser la question de la religion catholique comme source d’homophobie. Le texte de notre conférence “L’Église face à l’homosexualité : discrimination, secret et paradoxe”, que nous reproduisons ci-dessous, est également paru dans Golias Magazine n° 184, janvier-février 2019.



Pour commander la version papier : Notre histoire – Les Enfants de Cambacérès

L’Église face à l’homosexualité : discriminations, paradoxes et méthodes

Début 2014, nous publions un livre Le Déni, enquête sur l’Eglise et l’égalité des sexes pour comprendre le système des représentations des sexes et du pouvoir dans l’Église et comment il fonctionne encore dans l’inconscient collectif, au-delà des 4 % de catholiques pratiquants déclarés : rôles féminins, rôles masculins, patriarcat et hétéronormativité du couple. Parce que ce livre a été écrit au moment des manifs pour tous, nous avons alors pris des noms de plume pour ne pas surexposer nos familles, les catholiques traditionnels ayant déjà gagné la bataille des réseaux sociaux et la violence s’y déversant. Le titre d’un de nos articles écrit par ailleurs est explicite “Les dessous de la manif pour tous : la défense du patriarcat”.

En effet, dès les années quatre-vingt dix, l’Église catholique a désigné les études de genre, qui révèlent les rapports de pouvoir entre les sexe, comme son ennemi. Pour ce faire, elle a élaboré une rhétorique spécifique pour renforcer sa pensée différentialiste et naturaliste qui discrimine les femmes et les homosexuel·le·s. Par des mécanismes apparents ou cachés, elle essaie de maintenir le contrôle social, à travers le contrôle de la sexualité. Dans son combat contre l’homosexualité, elle vit un tel paradoxe qu’il explique la profondeur de la crise qu’elle vit aujourd’hui.

L'exclusion et la diabolisation des femmes

Pour comprendre l’homophobie catholique, il faut remonter à la source du premier rapport de pouvoir et d’exclusion : la discrimination des femmes dans le droit et les récits de l’Église.

Comment l Église exclut les femmes par le droit

Le droit canon qui institue et organise la société Église a créé une caste, celle des clercs en réservant le sacré et le pouvoir aux seuls hommes : « Seul un homme baptisé peut recevoir validement l’ordination sacrée (canon 1024). » « Au pouvoir de gouvernement […] sont aptes, selon les dispositions du droit, ceux qui ont reçu l'ordre sacré [donc des hommes] (canon 129). ». Les femmes sont exclues sans justification.

Elle sont également rejetées, du fait de l’obligation de célibat pour les clercs : « les clercs […] sont donc astreints au célibat » et « se conduiront avec la prudence voulue dans leurs rapports avec les personnes qui pourraient mettre en danger leur devoir de garder la continence ou causer du scandale chez les fidèles (canon 277). » Cette obligation du célibat des prêtres remonte au XIème siècle, au moment où se constitue le droit canon puisqu’avant les prêtres pouvaient vivre en couples et avoir une famille.

En quelques mots, les femmes sont infériorisées, exclues du pouvoir, du sacré et du savoir et elles sont diabolisées : elles sont dangereuses et peuvent causer du scandale, alors que les clercs ont décidé seuls de leur célibat. L’exclusion des femmes est donc totale et structurelle.

Deuxième mécanisme : la diabolisation des femmes dans les mythes

L’infériorisation et la diabolisation des femmes inscrites dans le droit sont renforcées par les récits et les mythes catholiques construits autour de deux archétypes féminins qui fonctionnent encore dans la société. Ève la pécheresse, la tentatrice, la séductrice s’oppose à Marie, la pure, la sainte, la parfaite. Coincées entre deux modèles imaginaires impossibles, les femmes sont culpabilisées dès l’origine, comme filles d’Ève ne pouvant jamais atteindre le sublime de Marie. Le discours catholique contemporain faussement valorisant sur le génie féminin est dans la même logique, puisqu’il continue de prendre Marie pour modèle.

Le catholicisme offre le visage d’une société masculine dédaigneuse des femmes et dénie la composante sexuelle des clercs à l’intérieur de ses propres structures.

Inclusion et condamnation des homosexuel.les
Les clercs, une société d’hommes

Cette exclusion des femmes permet la constitution d’un entre-soi, une société d’hommes, une caste sans femmes, sans problème d’enfant ni de famille, une homosocialité, dont le fondement est une supériorité masculine qui serait évidente et non justifiée.

Les prêtres et les évêques vivent dans un système vertical et hiérarchique et selon un droit qui leur est propre. Il se sont approprié le pouvoir du sacré, du gouvernement et de la parole, au détriment des autres hommes et de toutes les femmes.

Parmi ces clercs, chose cachée à l’ensemble des catholiques, les homosexuels sont largement majoritaires et donc en réalité inclus dans le système. Cette majorité d’homosexuels dans l’institution est logique, car la condition religieuse leur donne un statut social, dans une société catholique qui reste homophobe et offre deux choix : le mariage hétérosexuel avec une fécondité sans limite ou bien l’entrée dans les ordres religieux.

L’Église catholique inclut de fait les homosexuels et c’est ce qui rend leur condamnation depuis les origines totalement paradoxale. Cette condamnation est massive et constante. Elle crée une distorsion de plus en plus difficile à réduire.

La condamnation de l’homosexualité

Dès que le christianisme devient religion d’État, au IVème siècle, il promulgue des lois pour exterminer les personnes homosexuelles. Les pères de l’Église comme Origène, Ambroise ou Augustin étaient déjà dans le rejet de la sexualité et dans une condamnation sans faille et violente de l’homosexualité. Dix siècles plus tard, en plein humanisme, le code de procédure pénale du très catholique Charles Quint veut toujours « faire passer les homosexuels de vie à trépas par le feu ». Au même moment, les condamnations de sorcières se multiplient.

Cette condamnation des homosexuels s’appuie sur des textes de l’Écriture sainte (le livre du Lévitique et certains écrits de saint Paul) et sur la culture gnostique et stoïcienne : « L’opinion publique de l’époque était dominée d’un côté par l’idée chère aux stoïciens des Ie et IIe siècles, que la seule fin du mariage était d’avoir des enfants, et d’un autre côté par un courant d’idéalisation de la virgnité, inspiré du pessimisme et de l’hostilité au corps de la gnose. » Cette culture est reprise dans certains écrits de l’apôtre Paul qui a choisi pour lui-même le célibat et dit que l’homosexualité est un refus de Dieu, une idolâtrie et que les homosexuel·le·s méritent la mort. L’idéal est de rester chaste ; les seules relations sexuelles licites sont dans le cadre du mariage avec pour but la procréation, toute autre forme de sexualité étant prohibée.

Sans discontinuité depuis saint Paul, l’Église catholique considère toujours que les pratiques homosexuelles sont un péché. Le pape François en parle comme d’une maladie qu’il faudrait guérir, puisqu’il a recommandé la psychiatrie pour les enfants ayant des tendances homosexuelles.

Le catéchisme de l’Église catholique qui a été promulgé en 1992 sous Jean-Paul II réprouve fermement l’homosexualité : « La Tradition a toujours déclaré que “les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés” [...]. Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie (n°2357). »

Cette position exprimée dans le catéchisme prolonge la déclaration Persona humana de 1975 publiée par la Congrégation pour la doctrine de la foi et qui porte sur quelques questions éthiques dont l’homosexualité. Trois arguments tournent en boucle la loi naturelle, la révélation divine et la tradition pour défendre l’unique modèle du mariage catholique hétérosexuel. La rhétorique est le même depuis saint Paul : « Elles [les relations homosexuelles] sont condamnées dans la Sainte Ecriture comme de graves dépravations et présentées même comme la triste conséquence d’un refus de Dieu. »

Le vocabulaire est stigmatisant à l’encontre des homosexuels « éducation faussée », « manque d’évolution sexuelle normale », « anomalie » « constitution pathologique jugée incurable ». Les clercs pensent aussi qu’ils peuvent aider à les homosexuels à surmonter ce qu’ils appellent « leur inadaptation sociale ».

Dix ans plus tard, en 1986, le futur Benoît XVI qui dirige la congrégation pour la doctrine de la foi écrit une lettre aux évêques, pour la première fois dans l’histoire de l’Église, entièrement consacrée à l’homosexualité — c’est donc un sujet qui l’obsède un peu —, lettre qu’il appelle Homosexualitas Problema et dans laquelle il est particulièrement méprisant : « Quand [les personnes homosexuelles] entretiennent une activité homosexuelle, elles cultivent en elles une inclination sexuelle désordonnée, foncièrement caractérisée par la complaisance de soi. » Si les personnes ne sont plus aujourd’hui condamnées à mort, elles sont quand même appelées à se sacrifier : « La façon dont des hommes et des femmes homosexuels se conforment au sacrifice du Seigneur par le renoncement à soi constituera pour eux une source de don de soi qui les sauvera d'une forme de vie risquant constamment de les détruire. »

La lettre affirme encore que le mariage des homosexuels met « sérieusement en danger » « la conception que la société a de la nature et des droits de la famille».. Finalement, le futur Benoît XVI demande que soit retiré tout appui à des organismes qui cherchent à saper la doctrine de l'Église.

Le combat contre le genre



En 2003, il publie un nouveau document pour contrer les projets d’unions civiles entre homosexuel·le·s avec toujours les mêmes arguments : comportement déviant, mise en danger de la famille et de la société, au nom de la raison, de l'ordre biologique et anthropologique, au nom de l’ordre social et juridique.

La même année, il publie un document contre le genre intitulé Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques. Refusant les études de genre qui révèlent les rapport de pouvoir entre les sexes, il contre les droits des femmes et les droits des homosexuel·le·s, en élaborant une rhétorique comme cette fameuse « théorie du genre » qui sera reprise par les médias et qui entretient l’idéologie différentialiste. Ce discours ecclésiastique se présente comme un travail pseudo-scientifique, alors qu’il s’appuie toujours sur la Genèse, considérée comme le fondement majeur de l’anthropologie catholique.

Dans la même logique, dans un discours récent à l’ONU, le pape François a parlé de « colonisation idéologique », une formule fourre-tout qui inclut ce qu’il appelle la théorie du genre, les droits pour les personnes homosexuelles et les droits des femmes. Et il a demandé que soit reconnue « une loi morale inscrite dans la nature humaine elle-même, qui comprend la distinction naturelle entre homme et femme. » Ces paroles sont la suite du travail de l’Église pour contrer le féminisme et les droits des homosexuel·le·s dans les instances internationales, agissant en lobbyistes depuis des décennies.

Benoît XVI a été le grand théoricien de l’anti-genre. L’une des premières mesures qu’il prend après son élection, dans un amalgame entre homosexualité et pédocriminalité, est de faire publier, le 31 août 2005, une instruction qui discrimine les homosexuels pour leur interdire l’entrée du séminaire. Pour admettre un candidat, l'Église dit qu’elle « doit vérifier, entre autres, qu’il a atteint la maturité affective », qu’elle doit « s’assurer que le candidat ne présente pas de troubles sexuels incompatibles avec le sacerdoce » et qu’« il serait gravement malhonnête qu'un candidat cache son homosexualité pour accéder, malgré tout, à l'Ordination. »

La lutte contre les droits civils

Ce qui vient d’être évoqué sur l’interdiction d’entrée du séminaire aux homosexuels est dans le même esprit que la lutte de l’Église contre les droits civils, d’abord contre le PACS en 1998 ; puis au moment du projet de loi sur le mariage pour tous.

Le cardinal Barbarin se positionne alors en première ligne : « Après, ils vont vouloir des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être qui sait ? L’interdiction de l’inceste tombera. » Les évêques de France sont pourtant partagés, mais Benoît XVI les recadre. Le 21 décembre 2012, dans un discours à la curie, il appelle les catholiques à lutter contre le projet de mariage pour tous, en citant le grand rabbin Bernheim qui avait lui-même publié une brochure sur la nocivité de la théorie du genre en s’appuyant sur la vision biblique différentialiste de la complémentarité homme-femme.

Les arguments avancés dans la lutte contre le mariage pour tous en cachaient peut-être d’autres, sans doute inconscients. Car si les homosexuel·le·s sont accepté·e·s dans la société et peuvent se marier, les homosexuels catholiques n’ont plus besoin du statut spécial des clercs, et cela complique sérieusement leur recrutement alors que les effectifs sont déjà en baisse. De plus, le fait qu’il y ait des couples de femmes et des couples d’hommes à égalité casse la hiérarchisation homme femme du modèle patriarcal hétérosexuel, mécanisme de l’infériorisation des femmes comme des homosexuel·le·s. La légitimité de la supériorité masculine est alors remise en cause. Le long combat de Benoît XVI contre le genre s’appuie sur certaines communautés catholiques traditionnelles. À la Toussaint 2012, à Paray-le-Monial, ville où se tient l’influente communauté nouvelle de l’Emmanuel, se rencontrent « des têtes de réseaux » pour recruter et se structurer en action politique. Ils écrivent : « les projets du Gouvernement (mariage gay, homoparentalité, toujours plus d’avortement et d’euthanasie,…) nous alertent sur l’urgence d’agir ! Or si vous recevez ce courrier, c’est que vous êtes identifié comme étant une « tête de réseau » utile à ce combat ». C’est l’acte de naissance des futures manifs pour tous.

La suite est connue : l’épiscopat français appelle les catholiques à descendre dans la rue fin 2012 et début 2013 pour dire leur opposition au mariage des homosexuel·le·s. Ces mouvements d’opposition ont eu pour conséquence l’arrêt des ABCD de l’égalité, expérimentation qui avait pour objectif d’apprendre l'égalité entre les garçons et les filles et de faire reculer les discriminations.

Aujourd’hui l’accent est mis sur les enseignements de la Genèse dans les instituts catholiques ; ce qui permet toujours de ne pas aborder l’égalité, d’évacuer l’homosexualité et de séparer les sexes.

La lutte contre le mariage pour tous s’inscrit dans la liste des combats politiques de l’Église contre les lois qui remettent en cause l’ordre patriarcal hétérosexué. On a oublié certains de ses combats, mais elle a lutté contre l’autorité parentale conjointe, elle lutte encore contre la contraception, l’IVG ou la procréation médicalement assistée pour ne donner que ces exemples.

En interne, l’argument de l’Église catholique pour contrôler les mœurs et les consciences est la notion de péché, concept fondamental dans son récit.

Le contrôle par la culpabilisation

Le péché est le mythe et le moyen qui permet de culpabiliser chacune et chacun. Le concept de péché originel est élaboré au IVème siècle par saint Augustin à partir des écrits de saint Paul et il est relié explicitement à la sexualité. « C’est le rapport sexuel, ou plus précisément le plaisir sexuel qui, selon saint Augustin, a transmis le péché originel et continue de le transmettre de génération en génération. »

L’idée de péché est particulièrement liée à la femme, depuis Ève la tentatrice qui aurait poussé Adam à la faute. L’Église a une vision négative de la sexualité féminine et a toujours voulu avoir prise sur elle et la pratique de la confession a été longtemps un moyen de la contrôler. La relative tolérance en interne de l’homosexualité chez les clercs s’explique en partie par le fait qu’il ne s’agit pas de sexualité féminine.

Cette pratique de la confession nourrit le sentiment de culpabilité et de honte chez tous les fidèles. Les clercs qui ont théorisé le péché, sont aussi les seuls à pouvoir le pardonner. Ce qui leur permet d’être à la fois juges et partie : le mécanisme d’emprise des clercs et de dépendance des fidèles est en place.

Selon Oscar Wilde : « celui qui contrôle la sexualité contrôle la totalité des personnes. C’est la forme de pouvoir la plus élevée. C’est aussi ce qu’a affirmé Michel Foucault. Mais seule l’Église a su en faire sa règle aussi sacrée que violente. »

La distorsion et le paradoxe

Au fur et à mesure que l’homosexualité est acceptée dans les sociétés, les strates de condamnation ecclésiales s’empilent. Mais l’homosexualité interne au système clérical demeure. La distorsion augmente. Il faut inclure et condamner en même temps. Il faut donc cacher toujours plus le fait qu’il y ait des homosexuels chez les prêtres.

La liste est longue des dignitaires religieux homosexuels et violemment homophobe au nom de la foi. Saint Augustin a connu cette pratique sexuelle et l’a condamnée. Certains papes sont célèbres pour leur homosexualité, tels Jules III (1487-1555) qui ouvrit le concile de Trente, le concile censé remettre de l’ordre dans l’Église.

Bien plus près de nous, en 2013, le cardinal écossais O’Brien, connu pour ses prises de position homophobes et qui avait déclaré que le mariage entre personnes du même sexe « serait nuisible au bien-être physique, mental et spirituel des contractants », a été obligé de démissionner, accusé par quatre prêtres « d’actes inappropriés » qu’il a lui-même reconnus après les avoir niés.

Un exemple retentissant nous permet de comprendre ce paradoxe “homosexualité pratiquée et homophobie virulente”, celui du prêtre polonais Kryzsztof Charamsa, théologien, secrétaire adjoint d'une commission théologique internationale auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui a fait son coming out en 2015. Il en a publié un livre La première pierre, moi prêtre gay face à l’hypocrisie de l’Église catholique où il relate de l’intérieur cette distorsion. Lui qui n’a pas voulu vivre cette hypocrisie, a été condamné par l’Église.

En effet, beaucoup de prêtres sont homosexuels et vivent en couple tout en restant homophobes. Kryzsztof Charamsa écrit : « Le clergé est un cas clinique intéressant : étant en bonne partie homosexuel il s’impose la haine des homosexuels, c’est-à-dire de lui-même. » Ou encore : « Je voulais me tenir éloigné de l’obsession diffuse : homophobes à l’extérieur pour détruire la vie des homosexuels, plus gays à l’intérieur que dans n’importe quel autre milieu. » Il relate son expérience ainsi de douze ans au sein de la curie : « J’ai vite découvert qu’entre fonctionnaires, si on voulait discréditer un ennemi, il suffisait de dire sur un ton réprobateur : “Comme chacun le sait, il est homosexuel.” Pour détruire quelqu’un, ce mot magique suffisait, prononcé avec haine et mépris comme le jugement de Dieu, comme la condamnation à mort d’un criminel ou d’un hérétique parce qu’homosexuel. D’un criminel qu’il fallait plaindre, désapprouver et éloigner. C’est ainsi que le doux office de l’Eglise enflammait le bûcher des esprits malades… Les homosexuels étaient l’un des thèmes de prédilection à l’ordre du jour. Une véritable obsession. »

Kryzsztof Charamsa décrit aussi par exemple dans le détail l’alliance du Vatican avec les Etats les plus homophobes : que ce soit la Russie de Vladimir Poutine ou les pays musulmans qui humilient ou assassinent des gays.

Le cardinal O’Brien comme Kryzsztof Charamsa ont été punis par l’Église mais différemment. L’un a été pris la main dans le sac et reclus à une vie de prière, l’autre a fait son coming out et a été démis de toutes ses fonctions et a dû rendre sa soutane. Bien que les deux cas soient très différents, ils ont été condamnés car, ce qui est interdit et qui est pourtant une réalité, devait rester caché.

Cette culture du secret entretient en fait des mensonges ; elle est l’un des mécanismes majeurs du fonctionnement global de l’institution et du contrôle qu’elle exerce en interne comme en externe.

Omerta et mensonge
La distinction secret/mensonge

Le secret en soi n’est pas une mauvaise chose. Il est même nécessaire à la construction de l’identité. La culture du secret n’est pas toujours négative. C’est pourtant l’expression qui a été employée quand s’est révélée la pédocriminalité structurelle chez les clercs. Il s’agit en réalité d’une culture du mensonge ; il y a un fossé entre leur parole et la pratique. L’idéal du célibat et de la chasteté des prêtres paraît dans l’Église, mais il n’est pas respecté ; en cela, il est mensonger.

D’un côté, l’Église prône l’idéal de célibat et de continence pour les clercs et condamne quasiment toute forme de sexualité pour les autres, dans un discours obsessionnel.

De l’autre, les clercs couvrent pour eux-mêmes les pratiques homosexuelles et aussi hétérosexuelles puisque certains prêtres ont des compagnes et des enfants cachés qui sont tolérés, tant que le prêtre ne révèle pas sa relation.

Cette homosexualité qui ne peut pas se dire dans l’Église conduit nombre de ses prêtres à vivre cachés, jusqu’à mourir en silence, comme les prêtres atteints du sida dans les années quatre-vingt qui ont été soignés dans des filières clandestines hors de de leur diocèse.

C’est aussi le même mécanisme d’omerta qui a permis que soit organisée à grande échelle la couverture des clercs pédocriminels. Scandale qui éclate dans le monde depuis les années quatre-vingt-dix et plus récemment en France. Les clercs sont déplacés en cas de problème dans d’autres diocèses et même dans d’autres pays ; ils sont envoyés dans des structures internes à l’Église ou mis à la retraite d’office, toujours dans le caché.

Le cas Anatrella, le “psy” de l’Eglise

Un cas emblématique montre jusqu’où peut conduire cette culture du mensonge et du double discours dans l’Église. Le prêtre et psychanalyste français Tony Anatrella est bien connu des lecteurs et des lectrices de Golias. Il a longtemps eu le statut d’expert catholique international, très écouté sur les questions de sexualité, et auteur d’ouvrages reconnus. Il a été consultant au Conseil pontifical pour la famille, sur les questions de santé et d’éthique au Vatican et promu « Monseigneur ».

Son statut d’expert l’a conduit à être l’un des inspirateurs de l’instruction du Vatican interdisant l’ordination des prêtres homosexuels en 2005. C’est aussi lui qui a rédigé l’introduction à la version française du Lexique anti-genre, introduction qu’il a intitulée « La Théorie du genre comme un cheval de Troie ». Lors de la présentation du lexique au sénat, il a déclaré : « La théorie du gender […] provoquera davantage de dégâts que ceux occasionnés par l’idéologie marxiste. » « La thèse irréaliste du gender se traduit aujourd'hui en termes politiques jusqu'à promouvoir et à protéger l'homosexualité en imposant la censure des idées au nom du concept médiatique de l'homophobie. »

Tony Anatrella a été en pointe pour incarner le combat catholique anti homosexuel contre le PACS, pour diffuser les arguments catholiques anti-genre, puis contre le mariage pour tous, à travers des entretiens, des publications, des conférences. Voilà ce qu’il dit dans un entretien de 2013 : « Qu’on le veuille ou non, en reprenant les catégories des orientations sexuelles à la mode aujourd’hui au détriment des deux seules identités sexuelles qui existent (l’homme et la femme), la société ne peut être qu’hétérosexuelle. »

En 2006, Golias publie le témoignage d’un ancien patient sur les méthodes de thérapies “corporelles” de Tony Anatrella, des actes à caractère sexuel, visant à le guérir de son homosexualité et le psychanalyste fait l'objet d’une plainte déposée par un autre ancien patient. Deux plaintes s’ajoutent mais la justice civile classe l'affaire sans suite en 2007. De nouvelles accusations sont portées contre lui en 2016. Les victimes présumées saisissent la justice de l’Église. Jusque là, les supérieurs d’Anatrella, le cardinal Lustiger directement prévenu, dès 2001, puis le cardinal Vingt-Trois, qui était un proche d’Anatrella, avait préféré garder le silence. En octobre 2017, le nouvel archevêque de Paris, Mgr Aupetit relance une enquête préliminaire. Anatrella est interdit de ministère, de confession et d'activité thérapeutique depuis le 4 juillet 2018.

Le traitement du cas Anatrella est emblématique de l’utilisation de l’homophobie pour cacher sa propre homosexualité et de plus, déguiser des viols en thérapie. Anatrella est un acteur majeur de la pensée homophobe cléricale des trente dernières années, tout en étant un gourou et un prédateur. C’est grâce au système d’omerta qu’il a pu non seulement agir en toute impunité mais de plus, monter au plus haut de la hiérarchie. Il a joué au bon élève par une homophobie de plus en plus affichée, et le système clérical l’a promu.

La démission de Benoît XVI

Que se passe-t-il quand le mécanisme de révélation de ce qui était caché atteint la tête de l’Eglise ? La démission de Benoît XVI en 2013 est un exemple frappant. Comme l’a écrit Kryzsztof Charamsa : « L’Église ne supporte pas de voir sortir de l’ombre la conscience de l’homosexuel qui ne se sent plus infirme, coupable ou dénaturé. Elle n’arrive pas à digérer la vision d’un gay heureux accompli et en paix avec lui-même. Il pourrait contaminer les autres. » Il faut donc maintenir la figure de l’homosexuel comme un être contre nature et repoussoir. Benoît XVI a beaucoup oeuvré pour renforcer le secret sur l’homosexualité majoritaire chez les clercs, en publiant contre le genre et en discriminant toujours plus les homosexuels. Mais, dans sa volonté de cacher, il a eu le sentiment d’échouer devant le scandale du « Vatileaks ».

Après un pontificat mouvementé, sur fond d’un scandale qui a vu son propre majordome divulguer des documents secrets, Benoît XVI a en effet annoncé sa démission, le 11 février 2013. Ce qui n’était pas arrivé depuis six siècles. Par la suite, le pape a expliqué dans un entretien avec le Corriere della Sera du 1er juillet 2016, qu’un certain "lobby gay" avait tenté d'influencer ses décisions. Dans ses mémoires il parle aussi de “lobby gay” et de guerre du pouvoir au sein du Vatican.

Son successeur, le pape François dénonce certes les abus du cléricalisme, mais l’institution catholique n’est pas encore sortie du déni.

Le pouvoir de l’Église se vit et s’exerce dans une homosocialité, depuis deux mille ans. Ce système social garde une très grande puissance, mais il est en train de craquer du fait des évolutions sociales et de la révélation de ses mensonges.

Dans les sociétés qui luttent contre les violences sexuelles faites aux enfants : révélation de la protection de la pédocriminalité en interne et de l’indifférence aux victimes.

Dans les sociétés qui essaient de promouvoir l’égalité femmes hommes : révélation d’un pouvoir confisqué dans les mains de seuls hommes et qui se battent toujours contre les droits des femmes.

Dans les sociétés qui acceptent les unions entre homosexuel·le·s et condamnent l’homophobie, révélation en cours de l’homosexualité majoritaire chez les clercs, cachée derrière une homophobie virulente et le combat contre leurs droits.

Les failles deviennent apparentes causant une crise profonde. On constate que l’énergie de l’Église est dépensée pour défendre avant tout l’institution, son organisation sociale et sa caste privilégiée, et non pas les enfants, ni les femmes, ni les homosexuel·le·s.

Cette crise interne à l’Église rejoint la remise en cause de la domination masculine dans le monde et accélère le délitement de l’institution. Son droit canon qui instaure la supériorité masculine n’est plus aujourd’hui défendable.

Formés et construits sur un déni général de la sexualité et sur leur supériorité sacramentelle et intellectuelle, les clercs n’ont plus de discours aujourd’hui pour affronter ces multiples réalités. La cohérence de l’institution est en train de s’effondrer.

Si elle veut survivre à terme, elle devra changer de combat, faire une révolution mentale, à l’image de ce qui est en train de se produire à l’échelle du monde. Elle devra changer son propre droit, arrêter les discriminations et les condamnations morales et revenir à ce sur quoi elle dit être fondée : les valeurs de l’Évangile et la promotion de l’humanisme.