Le Déni
"Ils sont au pouvoir,
elles sont au service"

Conférence de Sabine Sauret, 15 octobre 2014, à Belfort, association Racines et chemins : Enquête sur l’Église catholique romaine et l’égalité des sexes

L’Église catholique romaine est puissante. C’est une puissance financière, politique et sociopolitique, mais aussi une puissance médiatique. Héritière du patriarcat de l’époque de sa fondation, elle a théorisé et renforcé le statut inférieur des femmes jusqu’à le sacraliser et le positiver dans une rhétorique éprouvée et renouvelée par Jean Paul II. Elle construit l’inégalité entre hommes et femmes par ses lois. Le droit canon est un dispositif souvent méconnu mais fondamental qui structure la société-église. En effet l’Église catholique est une société structurée ; elle a mis du temps à construire son ordre propre qui n’a pas toujours existé.
Pour lire la suite sur le site de Racines et Chemins

L’Église catholique romaine et l’égalité des sexes

L’Eglise catholique romaine est puissante. C’est une puissance financière, politique et sociopolitique, mais aussi une puissance médiatique. Ainsi par exemple, elle a interdit aux catholiques allemands de participer ou d’organiser des accueils de planning familial en Allemagne ; ainsi Jean Paul II a déployé un intense lobbying pour faire capoter les conférences de Pékin et du Caire, organisées par l’ONU en 1994 et en 1995 sur la santé et l’éducation des femmes. L’organisation d’une résistance à l’élection de François Hollande a été pensée dès le lendemain de son élection, lors d’une réunion à Paray-le-Monial.

Elle garde une influence par sa communication : les médias s’intéressent aux foules déplacées, aux canonisations, aux élections des papes, à leurs déplacements, aux Journées mondiales de la jeunesse, aux pèlerinages, aux synodes, assemblées d’hommes consacrés et de dirigeants… Elle présente une capacité certaine à changer de rhétorique sans changer sur le fond. Ce type de communication convient bien aux médias qui se posent peu de questions et sont sensibles à la photogénie des déploiements de cardinaux ou des foules place Saint-Pierre. Qui s’inquiète vraiment de la façon dont le pape est en réalité coopté par ses pairs et non élu, comme on le fait croire ? Qui s’inquiète que ce soit une assemblée d’hommes célibataires qui discute doctement de la famille ?

L’Église catholique romaine en réalité fabrique le genre. Héritière du patriarcat de l’époque de sa fondation, elle a théorisé et renforcé le statut inférieur des femmes jusqu’à le sacraliser et le positiver dans une rhétorique éprouvée et renouvelée par Jean Paul II.

L’Église catholique romaine construit le genre par ses lois

L’Église construit l’inégalité entre hommes et femmes par ses lois. Le droit canon est un dispositif souvent méconnu mais fondamental qui structure la société Église. En effet, l’Église catholique est une société structurée ; elle a mis du temps à construire son ordre propre qui n’a pas toujours existé. Le mariage comme sacrement n’a été vraiment établi qu’au 12e siècle, le célibat des prêtres, rendu obligatoire au 11e. Et encore, il a fallu plusieurs siècles avant de l’instaurer réellement.

Elle opère par séparation.

La séparation clercs-laïcs

« Par institution divine, il y a dans l’Église, parmi les fidèles, les ministres sacrés qui en droit sont aussi appelés clercs, et les autres qui sont aussi appelés laïcs » (Canon 207 en 1983).
Deux castes sont donc instaurées. Le droit va caractériser la première de deux façons, en séparant les hommes des femmes, en donnant aux hommes le pouvoir sacré de célébrer, et en réservant aux seuls clercs le pouvoir de gouverner.

La séparation hommes-femmes

À la séparation clercs-laïcs, s’ajoute donc une seconde séparation pour les femmes : « Seul un homme baptisé reçoit validement l’ordination sacrée» (Canon 1024, 1983). L’appel de Dieu serait donc sexué… Elles sont exclues par principe du sacrement de l’ordre et donc de la vocation sacerdotale: les femmes ne peuvent pas envisager d’être prêtres.
La question fut posée avec force dans les années 70-90 et bloquée en 1976 sous Paul VI dans un document appelé « Inter Insignores », repris par Jean Paul II en 1994 :
« C’est pourquoi, afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22,32), que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église » (Jean-Paul II, Ordinatio sacerdotalis).

La séparation hommes-femmes

Le code de droit canonique de 1983 commande que les clercs soient astreints au célibat : « Les clercs sont tenus par l’obligation de garder la « continence parfaite et perpétuelle […] Les clercs se conduiront avec la prudence voulue dans leurs rapports avec les personnes qui pourraient mettre en danger leur devoir de garder la continence ou causer du scandale chez les fidèles. »
Jean Paul II affirme que la loi du célibat des prêtres est immuable alors qu’elle date de la réforme grégorienne et qu’elle ne fut vraiment appliquée qu’au 15e siècle. Nicolas II en 1059 au moment où il instaure l’élection du pape par les cardinaux qui viennent d’être créés, interdit aux prêtres de se marier sans aucune considération pour les femmes et les enfants qui seront violemment expulsés des cures.
D’un clergé à sexe unique masculin, par l’éviction des femmes, on en arrive à un clergé asexué, où virginité et sacerdoce font couple.

Le pouvoir est masculin

Reprenons le canon 1024 : « Seul un homme baptisé reçoit validement l’ordination sacrée ». Un autre canon en fait comprendre les conséquences : « Seuls les ordonnés sont capables d’exercer le pouvoir de gouvernement dans l’Église » (Canon 219, 1983). Là est le nœud de toute l’organisation sociale de l’Eglise. Il ne s’agit pas seulement du sacré, il s’agit aussi du pouvoir de gouvernement. Le pouvoir sera donc exclusivement masculin: le pouvoir de célébrer, celui de gouverner sont attribués à des hommes. Pape, évêque, prêtre, diacre, sacristain, enfant de chœur sont tous des hommes. Le droit institue deux pouvoirs dédiés aux seuls mâles: le sacré et le gouvernement.

Les représentations masculines
Ce pouvoir est vertical

Au milieu de cette société d’hommes, un homme détient tous les pouvoirs, le pape, au nom de Dieu: « À cette immense multitude d’hommes, Dieu lui-même a donné des chefs avec le pouvoir de les gouverner. À leur tête il en a préposé un seul dont il a voulu faire le plus grand et le plus sûr maître de vérité, et à qui il a confié les clés du royaume des cieux » (Lumen Gentium 13).
Et encore « Le Pontife romain, en vertu de son office qui est celui de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute l’Église, a sur celle-ci un pouvoir plénier, suprême et universel qu’il peut toujours exercer en toute liberté » (Lumen Gentium 22). Il n’y a donc qu’une seule autorité: le pape, un chef tout-puissant identifié à l’idée de Dieu ou du Christ. Ce pouvoir est donc vertical, à l’image de celui de l’empereur romain.

Ce pouvoir détient le savoir et la vérité

Jean-Paul II reprend à son compte l’une des expressions du Concile: « De par la volonté du Christ, en effet, l’Église catholique est maîtresse de vérité » (Veritatis splendor 93 n°64). « Ceux qui excellent dans la raison excellent dans le pouvoir » disait Saint Augustin en parlant des hommes ; le masculin a donc l’apanage de la raison et nous sommes encore héritiers de cette doxa.
Maître de la vérité, le magistère incarné par le pape s’approprie le droit d’interpréter les Ecritures: « Mais la charge d’interpréter authentiquement la parole de Dieu écrite ou transmise a été confiée au seul magistère vivant de l’Eglise dont l’autorité s’exerce au nom de Jésus-Christ ».
La parole ecclésiale est une appropriation masculine et cléricale.

Modèle et représentations

Il faut bien comprendre que les lois et le droit instituent. Les représentations qui caractérisent les différents systèmes sociaux ont pour fonction d’intérioriser les lois et les places de chacun dans le système considéré.

1. Jean-Paul II parle de « un “nouveau féminisme” qui, sans succomber à la tentation de suivre les modèles masculins, sache reconnaître et exprimer le vrai génie féminin (Evangelium Vitae). Il y a donc des modèles masculins qui seraient des objets de tentation pour les femmes, puisque le pape craint que les femmes ne les suivent, faisant par là même allusion aux fruits de l’arbre de la connaissance du jardin d’Éden.

En réalité, le pape ne décrit pas ces modèles masculins et on trouve peu d’écrits explicites à ce sujet. Pourtant un modèle implicite du masculin est accepté comme une doxa : c’est celui de l’exercice du pouvoir et du gouvernement de l’Église. Ce modèle est représenté par le pape, les évêques et les prêtres, selon la hiérarchie découlant des lois précédentes. Tout homme peut s’identifier imaginairement à ces modèles que deviennent les prêtres. Les images et la canonisation de deux papes par deux papes en sont l’illustration. L’exercice du pouvoir masculin est associé à la sainteté et à des célébrations et à des rites qui marquent les esprits et sacralisent un peu plus cet imaginaire.

Ainsi l’organisation sociale de l’Église, mais aussi la lecture des textes du magistère (tous genres confondus, liturgie comprise) présentent un imaginaire masculin du pouvoir, Ce schéma mental des hommes au pouvoir se retrouve aussi bien dans l’institution que dans la société. Ces représentations du masculin sont encore actives dans la société, ce qui se traduit par des stéréotypes: l’homme a un cerveau, lui ; il est logique, bon en math et en géographie ; il sait lire les cartes… Il est compétent, fort, décidé, protecteur, visible ; il sait, décide et dispose. Ces stéréotypes sont encore en vigueur dans nos sociétés, bien lisibles dans l’éducation donnée aux garçons.

2. L’imaginaire du masculin sera donc celui du chef, ce qui est profondément intériorisé par les hommes et les femmes catholiques. « Les Évêques qui d’institution divine succèdent aux Apôtres par l’Esprit Saint qui leur est donné sont constitués Pasteurs dans l’Église pour être, eux-mêmes, maîtres de doctrine, prêtres du culte sacré et ministres de gouvernement » (Canon 375).

Cet imaginaire du chef est même attribué à Jésus, ce qui est plutôt surprenant, car rien dans les évangiles, bien au contraire, ne présente Jésus comme homme de pouvoir ou de gouvernement. « Dieu envoya son Fils dont il fit l’héritier de l’univers (cf. He 1,2), pour être à l’égard de tous Maître, Roi et Prêtre, chef du peuple nouveau et universel des fils de Dieu» (Lumen Gentium 13).

Cette figure du chef est intériorisée comme une figure du salut, l’attente d’un salut réalisé par le masculin. La question du salut est liée au masculin. Le prince charmant recueille les dérives de cette idée, une jeune fille attend le prince charmant qui va la sauver d’une vie sans intérêt. Jésus est un prince charmant, qui sauve et qu’épousent pour la vie les prêtres et les religieuses. Bien sûr, lire attentivement l’évangile permet de comprendre que le salut en Jésus-Christ n’a rien de sexué et que l’analogie époux-épouse devrait avoir fait long feu car elle induit trop d’idées fausses. Médias, société et catholiques sont tellement papolâtres depuis cinquante ans qu’ils regardent comme normales les mises en scène spectaculaires des voyages, des élections et des liturgies. Ils ont intériorisé cette figure du chef comme celle du salut, identique à celle du Christ. Le pape va sauver l’Eglise, pense t-on ! N’est-ce pas plutôt l’Évangile qui sauvera l’Église, comme l’écrit Joseph Moingt ?

3. À cet imaginaire du salut est associé l’imaginaire de la conquête hérité de l’imperium romain qui a conquis la terre et l’histoire et a organisé l’empire. Le concile Vatican II nous dit aussi : « Cette Église qui doit s’étendre à toute la terre et entrer dans l’histoire humaine domine en même temps les époques et les frontières des peuples » (Lumen Gentium 9). Avec l’éternité, l’universalité et la certitude de posséder la vérité en toile de fond, l’imaginaire masculin du chef marque profondément les consciences catholiques, mais est aussi installé dans les consciences tout court.

4 .Une valeur : l’obéissance. La conséquence de ce pouvoir c’est le développement d’une valeur, l’obéissance. Le peuple catholique, clercs et laïcs, est rassemblé par l’obéissance. C’est un peuple obéissant. « Les pasteurs de tout rang et de tout rite et les fidèles, chacun séparément ou tous ensemble, sont tenus au devoir de subordination hiérarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les questions qui concernent la foi et les mœurs, mais aussi dans celles qui touchent à la discipline et au gouvernement de l’Église » (Concile Vatican I, Pastor aeternus, chapitre 3, Canon 273). « Les clercs sont tenus par une obligation spéciale à témoigner respect et obéissance au Pontife Suprême et chacun à son Ordinaire propre » (Canon 275). « Ce n’est pas vraiment un assentiment de foi, mais néanmoins une soumission religieuse de l’intelligence et de la volonté qu’il faut accorder à une doctrine que le Pontife Suprême ou le Collège des évêques énonce en matière de foi ou de mœurs » (Canon 752, 1983).

Est-il audible et compréhensible de soumettre religieusement son intelligence et sa volonté ? Les pouvoirs eux-mêmes deviennent objets de foi ! Jésus est-il venu pour prendre le pouvoir ? C’était certes l’espérance des pèlerins d’Emmaüs, mais elle a été battue en brèche ! Ne sait-on pas aujourd’hui que l’obéissance n’est pas une valeur en soi ? A qui obéit-on ? A quoi obéit-on, et pourquoi ? Voilà ce que l’on n’apprend pas dans l’Eglise catholique.

Les représentations féminines

Du côté des femmes, le tableau change du tout au tout. Pas de droit instituant pour les femmes. L’interdiction explicite de la prêtrise est récente et elle est due aux questions posées dans les années 1970 au moment où les femmes acquièrent l’égalité de droit dans les lois civiles. Quand Paul VI et Jean-Paul II écrivent « Jamais l’Église catholique n’a admis que les femmes puissent recevoir validement l’ordination presbytérale ou épiscopale », ce n’est pas dans le droit Canon et Jean Paul II a été empêché d’en faire une encyclique qui engage le dogme.

Aux hommes, le droit ; aux femmes, les figures et les représentations féminines : Ève, Marie, et l'Épouse de l’Époux, trois sortes de récits fondateurs qui servent de sources à d’innombrables commentaires. Chacune de ces représentations est construite autour de qualités ou défauts attendus de « la femme ». Ces textes vont définir d’après le magistère « la vocation spécifique de la femme » qui sera référée au« dessein de Dieu » ou à la volonté de Jésus lui-même : aucun moyen d’y échapper, sous peine de culpabilité ou de sous-estimation de soi même.

Les représentations du modèle féminin sont complexes. Nous avons deux personnages, Ève et Marie, chacune des deux ayant un double rôle dont l’un est commun, le service. Ève est épouse et servante, Marie est mère et servante. L’une est désobéissante, l’autre est obéissante.

Ève, la première figure

Parlons d’abord d’Ève : le discours sur Ève est fondé sur la Genèse interprétée de façon répétitive, mais très fréquente par le magistère catholique. Pour Jean-Paul la Genèse « constitue la base immuable de toute l’anthropologie chrétienne » (Jean-Paul II, Mulieris Dignitatem 6). L’anthropologie est pourtant la science qui tente de comprendre comment les sociétés ont organisé leurs rapports sociaux dans l’ordre symbolique comme dans leur organisation visible. Elle cherche à comprendre leur cohérence. C’est une science de terrain, d’observation, qui compare et discerne les diversités et la complexité d’organisation des sociétés. L’anthropologie a fait apparaître la diversité des sociétés et non l’immuabilité des organisations sociales. Jean Paul II se réfère non pas à une anthropologie, mais à ce fond de pensée néoplatonicienne qui a forgé pour une grande part la pensée catholique, une loi dite naturelle et éternelle que personne ne peut contester et que le magistère catholique a pour mission de définir, comme volonté de Dieu et qui serait applicable à toute la terre. La dire « immuable » est révélateur de ce qu’il cherche à démontrer dans ses discours sur “la femme”, ce qu’il appelle “le génie féminin”. Il veut définir l’essence de la femme et s’intéresse aux femmes réelles dans la mesure où elles rejoignent son idée de « la femme » (cf. sa Lettre aux femmes de 1995).

Commentant la phrase de la Genèse, « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie » (Gn 2,18), Jean-Paul II dans un document très connu et influent, Mulieris Dignitatem, écrit : « Depuis l’origine, donc, dans la création de la femme, est inscrit le principe de l’aide » (Jean-Paul II, Lettre aux femmes, 7). Cec,i dès l’origine : c’est un principe premier, la femme est créée pour aider l’homme ; quant à l’homme, il est générique. Les écrits magistériels, de façon récurrente et affirmée, assignent les femmes au service des autres. Cette question du service, de l’aide à l’homme nous a beaucoup surprises par son importance. Il est fondamental de le comprendre, car on la retrouve aussi dans notre structure sociale et familiale : les statistiques sont claires, la répartition des métiers et des tâches domestiques et parentales le révèle. Les hommes dirigent, les femmes sont au service. Cette question détermine l’infériorité structurelle des femmes que l’on retrouve aujourd’hui dans la répartition des métiers, par exemple dans leur moindre rémunération ou dans la dévalorisation des métiers dits féminins. (Pour plus de détails, voir les rapports de Brigitte Grésy, lumineux et fondateurs. A lire aussi sur ces sujets les livres de Dominique Méda).

La deuxième caractéristique d’Ève est d’être pécheresse. Jean Paul II continue son commentaire pour démontrer une seconde répartition des rôles : « D’une certaine façon, la description biblique du péché originel dans la Genèse “répartit les rôles” qu’y ont tenus la femme et l’homme ». Il y a donc une seconde répartition des rôles. Pour aller vite sur un sujet bien connu, la dévalorisation des femmes est bien symbolisée dans ce récit, que l’on peut qualifier de patriarcal : elle est orgueilleuse et tentatrice, première dans le péché, elle qui était seconde dans la création.

Ce qui poursuit les femmes, c’est une suspicion de légèreté, de séduction, d’inconséquence, alors même que ce sont elles qui sont victimes de violences et de viols. Ève est le support imaginaire de la figure de la tentatrice, de l’hystérique, de la bavarde, de la Bécassine et même de la sorcière !

À travers ce récit de la faute d’Ève, les femmes continuent de porter les stéréotypes qui vont avec : la figure de la séduction, de la tentation, de la curiosité ; la femme est associée au serpent, à la ruse, au bavardage : ces clichés alimentent encore les préjugés sur les femmes (voir les articles contre nous qui sont parfaitement analysables de ce point de vue). Il est frappant de constater que les femmes elles-mêmes les ont intériorisés grâce à cette figure ancrée dans les esprits.

La figure d’Ève dévalorise les femmes, secondes par deux fois, dans l’ordre de la création, et dans la fonction d’aide. Elle les dévalorise par sa position d’orgueilleuse et de pécheresse.

Marie, la deuxième figure

Marie est la deuxième figure proposée aux croyants catholiques. La piété mariale a beaucoup de place aujourd’hui dans l’Église. Lire les textes magistériels, observer sa place dans la liturgie et la prière est très instructif pour comprendre ce qui est en jeu. Il s’agit de comprendre quelles significations porte ce modèle, comment il appuie l’argument de répartition et d’assignation des rôles pour le féminin et le masculin.

Marie, la deuxième figure

Marie est la deuxième figure proposée aux croyants catholiques. La piété mariale a beaucoup de place aujourd’hui dans l’Église. Lire les textes magistériels, observer sa place dans la liturgie et la prière est très instructif pour comprendre ce qui est en jeu. Il s’agit de comprendre quelles significations porte ce modèle, comment il appuie l’argument de répartition et d’assignation des rôles pour le féminin et le masculin.

Les hommes sont les chefs ; les femmes sont les pauvres

Il y aurait donc deux humanités, l’une, masculine, faite d’esprit et de raison, symbolisée par « la tête », l’autre (et Jean-Paul II parle bien d’”humanité féminine”) faite de chair, considérée pour son corps qui enfante et sa capacité de service. Lisez sa Lettre aux femmes de 1995 adressée à l’ONU. Ce n’est pas un fait de nature, ce sont des discours, des lois, des pratiques et des symboliques qui cherchent à justifier cette répartition des rôles par une naturalisation des normes et des déterminations qui rejoindrait « le dessein de Dieu ». Les conséquences sont là : les femmes sont les pauvres du monde, et ce sont elles, et leurs enfants, qui subissent le plus de violence.

Les chiffres de l’ONU concernant les femmes sont impressionnants.
– charge de travail : elles accompissent 2/3 du travail dans le monde
– pauvreté : elles perçoivent 10 % des revenus salariaux, moins de 2% de la propriété, moins de 5% des prêts bancaires)
– éducation : elles sont moins éduquées


Les chiffres français et européens sont aussi frappants. Elles subissent beaucoup plus de violences et de viols. En France, sur deux ans (2010-2012), 168 000 femmes (0,8 %) se sont déclarées victimes de viols ou de tentatives de viol (chiffre minimum). Les violences physiques ou sexuelles par leur ancien ou actuel partenaire intime (mari, concubin, pacsé, petit-ami…) concernent 404 000 femmes, soit 1,8 % d’entre elles. L’ensemble de ces violences concerne principalement des femmes âgées de 25 à 44 ans (source: Le Point.fr – Publié le 25/11/2012). Une femme est tuée tous les trois jours en France, 129 femmes ont été tuées en 2013 (contre 30 hommes et 33 enfants). En Europe, les chiffres sont semblables quant aux quantités de travail, discriminations financières, violences (7 femmes sont tuées tous les jours en Europe).

Ainsi nous comprenons que l’Église dénigre les études de genre, car elles dévoilent que l’Église fabrique du genre et construit les inégalités. Sa rhétorique qui positive le service comme vocation spécifique de “la femme” est un masque de son sexisme et de sa volonté de répartir les rôles qui permet en fait d’interdire la prêtrise aux femmes et de mettre les femmes au service des hommes, en dépit des évolutions majeures des sociétés.

Le refus de l’Église catholique de changer de paradigme

Pensons à la tectonique des plaques pour réaliser ce qu’est un changement de paradigme : quand au début du 20ème siècle, l’Allemand Alfred Wegener émet l’hypothèse que les continents bougent, qu’ils dérivent, on en rit ! Évidemment, la terre, c’est du solide, c’est le bon sens même ! Et bien si, les continents sont solidaires de plaques terrestres qui bougent entre 1 et 5 cm par an, ou plus… Elles se choquent, dérivent, se cassent, se plissent, elles convergent ou divergent depuis 4 milliards d’années. La terre, non seulement n’est pas le centre du monde (ancien changement de paradigme nié par l’Église), mais ce que l’on appelle la terre ferme bouge.

Cette découverte a provoqué un changement de paradigme, elle a fait bouger le système de la recherche du 20e siècle, en géologie, anthropologie, paléontologie, chimie, météorologie, etc. Et bien sûr, j’aurais pu prendre l’exemple de la physique des particules ou des sciences de l’espace, ou encore les découvertes de Darwin ou de Galilée. Des changements analogues ont été opérés dans le domaine des sciences humaines (philosophie ethnologie, anthropologie, sociologie, psychanalyse, psycholinguistique…). C’est ce travail de la pensée humaine qui a fait apparaître l’injustice de l’esclavage, de la condition féminine, de la condition ouvrière, l’injustice de la colonisation, du racisme, de l’homophobie, et il s’est effectué très majoritairement en dehors de l’Église. Au 20e siècle, quand elle a, par exemple, en son sein, un pionnier du dialogue entre sciences et religion, le jésuite Pierre Teilhard de Chardin, géologue, paléontologue et théologien reconnu par ses pairs et qui cherche à comprendre l’origine de l’homme et son évolution, elle l’empêche de publier ses travaux et d’enseigner. Il n’est toujours pas réhabilité ni enseigné.

Les changements de paradigmes ont entraîné des changements politiques (la démocratie) et des changements sociologiques (enseignement des filles à égalité et dans la mixité, en Occident particulièrement).

L’Église elle-même a connu des changements de paradigme, par la réforme grégorienne, par exemple au 11e siècle, axée autour de la volonté de puissance du pape, des empereurs et des rois qui sortent du système féodal. La séparation de l’Église d’Orient en fut une des conséquences négatives. Il y en eut de plus positives avec François d’Assise par exemple, bien que la nouveauté qu’il apportait ait été circonscrite par l’institution en quelques années. Il n’est pas oublié aujourd’hui.

Les évangiles eux-mêmes sont pleins de ces renversements d’intelligence dans le domaine des relations humaines. Pensons au récit des pèlerins d’Emmaüs raconté par Luc : ils retournaient dans leur village, ils avaient une vision du monde où ils attendaient un chef charismatique qui sauverait Israël (les catholiques n’attendent-ils pas de leur pape la même chose ? En politique aussi n’aimerions-nous pas avoir un sauveur plutôt qu’un homme normal?).

« Nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël » disent les pèlerins d’Emmaüs. Ils avaient interprété son action et ses paroles avec les grilles et les idées de leur temps, de telle façon que sa mort est une rupture pour eux, une catastrophe et ils ressentent un immense découragement. Mais en parcourant le chemin, en discutant avec cet homme qui les accompagne, ils découvrent tout autre chose. Jésus en leur parlant et en marchant avec eux opère un déplacement de paradigme sur le pouvoir, la vie et la mort, le salut, la rencontre et l’amitié... et cela Luc nous le raconte en quelques lignes ! « Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils dirent “notre cœur n’était-il pas brûlant tandis qu’il nous parlait” ? » Nous avons là la description d’un changement de point de vue qui change la signification des choses. C’est un changement de paradigme. Et quand leur vision du monde change, leur attitude change aussi. Ils vont à Jérusalem, figure du bonheur d’être ensemble ; ils ont changé de monde. Changer de point de vue montre que les évidences étaient des « doxa », des idées toutes faites qu’on ne songeait pas à questionner.

L’égalité comme changement de paradigme

L’égalité entre hommes et femmes est un des changements de paradigme de notre terre mondialisée. En 1869, l’économiste britannique John Stuart Mill écrivait déjà : « Si on laissait la nature des femmes s’épanouir aussi librement que celle des hommes […], il n’y aurait pas une différence essentielle ou même une différence quelconque dans les caractères et les aptitudes qui se développeraient chez elles ». (L’asservissement des femmes, Paris, Payot, p.106). Sa prophétie est en train de se réaliser.

Mais de quoi parle-t-on quand on utilise ce mot d’égalité ? D’une nouvelle idéologie, d’une nouvelle foi ? Non, l’égalité n’est pas un nouvel idéal. L’égalité est un concept, un opérateur de pensée, selon l’expression de Geneviève Fraisse ; il permet un déplacement majeur de point de vue, il permet d’interpréter autrement les réalités, et de faire apparaître ce qui était caché. Les Béatitudes sont de cet ordre et elles sont loin d’avoir accompli leur travail, mais c’est un autre sujet. La pensée de l’égalité hommes-femmes a changé la conception de la politique, le rapport à l’enseignement des filles et bien d’autres choses encore comme ces jeunes papas qui s’occupent parfaitement de leur bébé.

Quand nous nous réjouissons que les Tunisiens se soient battus pour inscrire dans leur nouvelle constitution l’égalité entre hommes et femmes et non pas la complémentarité hommes-femmes, nous savons que c’est pour plus d’humanisation. Ils savaient que la notion de complémentarité est en fait infériorisante et discriminante pour les femmes.

Voici trois éléments constitutifs de l’égalité hommes-femmes, évidents peut-être pour nous Français·es, mais en fait récents et pas encore vraiment passés dans les représentations et les pratiques du monde :
1. Aujourd’hui l’égalité de raison hommes-femmes est reconnue et prouvée par la réussite scolaire des filles. Pas de cerveau rose ou bleu ! Nous savons que les femmes ont les mêmes capacités intellectuelles que les hommes, même si les stéréotypes demeurent. La mixité réalisée dans certains pays ainsi que la parité, en passe de l’être, ont prouvé que les sociétés ne s’effondraient pas avec l’égalité effective entre les hommes et les femmes. Au contraire, elles ont montré qu’elles étaient un bienfait pour l’humanité : partout où l’éducation, la promotion et la santé des femmes s’instaurent, la violence recule et l’économie s’améliore.
2. Un deuxième élément qui montre le changement de paradigme sociétal c’est le fait les femmes ont acquis ou sont en passe d’acquérir leur autonomie, grâce à plusieurs découvertes majeures et une évolution des droits : – Leurs droits civiques tendent à être identiques à ceux des hommes. C’est une tendance mondiale. – La contraception est cette révolution qui permet la maîtrise de la fécondité des femmes et des couples. Françoise Héritier montre que le contrôle des naissances est « le lieu emblématique de l’émancipation féminine » et « le levier d’un changement majeur pour l’humanité tout entière». Or, dans les écrits du magistère, on trouve constamment un rejet de l’autonomie des femmes ; elle ne peut être qu’égoïste, et attribuée à la volonté « d’être une copie de l’homme » (je cite Jean Paul II). Pensons à la béatification de Paul VI, auteur de l’encyclique Humanae Vitae qui interdit la contraception et refuse cet acquis majeur pour les femmes et les couples. - Le travail des femmes les rend plus indépendantes, même si les inégalités et les injustices persistent.
3. Elles sont sorties de l’espace privé pour investir l’espace public réservé auparavant aux hommes. Plusieurs chercheuses, comme Geneviève Fraise, l’ont analysé pour la société civile.

Sur ces trois éléments de changements, l'Église se situe en négatif.
- L’espace public n’est pas vraiment ouvert aux femmes : pensons à la régression des filles qu’on refuse comme enfants de choeur et à qui il est proposé d’être servante de l’assemblée de chœur. Et bien sûr l’élément principal de ce rejet des femmes dans l’espace public, c’est l’interdiction de femmes prêtres.
-La contraception est diabolisée, avec l’indifférence pour les femmes que cela suppose de la part du magistère.
– Quant à l’égalité des droits dans l’Église, l’ethnologue Jeanne Favret-Saada nous rappelle : « On l’a oublié aujourd’hui, mais elle (l’Église] s’est constamment opposée aux lois qui donnaient une autonomie aux femmes mariées; les Associations familiales catholiques se sont longtemps appelées Associations des chefs de famille catholiques, et elles ont lutté pour la défense du chef de famille ». Et bien sûr dans son sein, l’inégalité hommes-femmes est inscrite dans son droit et racontée sous forme de représentations validant cette inégalité. N’est ce pas une impasse pour l’Église de penser qu’elle évitera ce fait mondial ? Il s’imposera à elle comme les découvertes de Galilée ou de Darwin se sont imposées.

Le blocage de l’Eglise catholique sur la différence des sexes

Le magistère a élaboré un discours sur la différence des sexes qui s’oppose à la pensée de l’égalité hommes-femmes. Elle lutte et elle théorise pour établir un différentialisme qui autorise la différence des rôles.

L’Église catholique confond ou feint de confondre égalité et identité. On va vous dire : « mais enfin, bien sûr que les hommes et les femmes sont différents ». Comme si l’égalité impliquait la confusion, l’identique, comme si la demande d’égalité effaçait la différence sexuée ordonnée à la procréation. En fait, nous sommes égaux mais non identiques ; aussi différents entre femmes, entre hommes, qu’entre hommes et femmes. Chacun est irréductiblement différent de chaque autre. Or l’Église croit que l’égalité équivaut à « l’auto-émancipation de l’homme par rapport à la création et au Créateur. L’homme veut se construire tout seul et décider toujours et exclusivement seul de ce qui le concerne. Mais de cette manière, il vit contre la vérité, il vit contre l’Esprit créateur », comme l’écrit Benoît XVI (Lettre aux évêques, 2004).

Chacun a une empreinte de pouce différente, et pourtant toutes et tous nous sommes humains. Être égaux ne veut pas dire être identiques. Égal n’est pas le contraire de différent. Le mécanisme rhétorique ecclésial et sociétal est de faire penser que les différences viennent de la différence sexuée. Le magistère le dit clairement : « L’analyse scientifique confirme pleinement le fait que la constitution physique même de la femme et son organisme comportent en eux la disposition naturelle à la maternité, à la conception, à la gestation et à l’accouchement de l’enfant. Cela correspond en même temps à la structure psycho-physique de la femme. La maternité est liée à la structure personnelle de l’être féminin et à la dimension personnelle du don », écrit Jean-Paul II. Nous voilà revenus au service. Le cardinal Ratzinger poursuit cette pensée qui réduit les femme à leur physiologie : « La sexualité caractérise l’homme et la femme non seulement sur le plan physique mais aussi sur le plan psychologique et spirituel, marquant chacune de leurs expressions » (Cardinal Ratzinger, Lettre aux évêques de l’Eglise catholique sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde, 8). Le pape actuel écrit dans la suite de tous ces propos que « les femmes ont une structure différente des hommes». Le cardinal Seper, en 1976, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, se sert de la même pensée discriminante qui a servi à justifier le racisme, dans un appel à un soi-disant bon sens : « À peine est-il nécessaire de rappeler que dans les êtres humains la différence sexuelle exerce une influence importante, plus profonde que, par exemple, les différences ethniques ; celles-ci n’atteignent pas la personne humaine aussi intimement que la différence des sexes ». Ce document signé par Paul VI confirme l’interdiction de la prêtrise pour les femmes.

Nous avons probablement là un indice des raisons profondes du blocage de l’Église catholique sur les questions de genre. Les études de genre n’introduisent pas des rapports de pouvoir, elle étudient ce qui est attendu d’un sexe : par exemple la douceur et la discrétion pour les femmes, la puissance pour les hommes ; elle les donne à voir en les explicitant. Ce qui apparaît, c’est la volonté de conserver l’organisation sociale de l’Église catholiqu,e fondée sur la discrimination des femmes et leur assignation à des rôles de service et de maternité. Benoît XVI écrit encore: « Le sexe, selon cette philosophie [le gender] n’est plus un donné d’origine de la nature, mais c’est un rôle social dont on décide de manière autonome, alors que jusqu’ici c’était à la société d’en décider. La profonde fausseté de cette théorie et de la révolution anthropologique qui y est sous-jacente, est évidente ». Le cardinal Vingt-Trois, un des trois présidents du synode sur la famille, dit aussi: « [Le genre] C’est le refus de la différence comme mode d’identification humaine, et en particulier de la différence sexuelle. C’est l’incapacité à assumer qu’il y ait des différences entre les gens. On se refuse à gérer le fait que les gens ne sont pas identiques » (Discours d’ouverture de la conférence des évêques, avril 2013).

Il faut ici comprendre les conséquences du différentialisme et de l’essentialisme : le magistère catholique parle toujours de “la” femme, du “génie féminin”, de l’”éternel féminin”. C’est en fait le terreau des discriminations et c’est l’argument apparemment positif, qui permet d’assigner des rôles spécifiques et différenciés selon le sexe.

L’amour, la paix, la miséricorde, la compassion, l’écoute seraient plus féminins ? La lutte, le combat, le courage, plus masculins ? Non : Il y a des personnes, hommes ou femmes, capables de créer les conditions d’une paix durable et toutes sortes de belles choses, selon l’éducation, le tempérament et la volonté.

Le sexe reste encore le premier facteur de discrimination, en entreprise, dans la vie publique et dans la vie familiale comme dans l’Église. Pourtant quand la discrimination sexuée recule en entreprise, et quand la parité et l’égalité des chances progressent, les autres discriminations reculent (orientation sexuée, couleur de peau, handicap, etc.). C’est très important de le comprendre. C’est une sorte de révolution mentale à effectuer. Il est profondément triste que l’Église catholique n’accompagne pas ce combat, bien au contraire.

Ainsi on a longtemps cru que c’était normal, naturel même, d’avoir des esclaves, ou d’être des colonisateurs, ou que le blanc était supérieur au noir, le riche au pauvre, ou que les enfants bâtards étaient inférieurs aux « légitimes ». Ici c’est du même ordre. Il faut s’habituer à ce qu’un homme vaille une femme et réciproquement ou que les différences ne se jouent pas sur le sexe mais sur la personnalité ou des compétences, par exemple.

Si l’Église comprenait ce qu’est le genre, c’est-à-dire la construction sociale des sexes, elle serait obligée de reconnaître que son histoire est aussi une construction sociale, et il lui faudrait admettre qu’il ne s’agit pas de confusion des rôles… L'Église en conservant sa structure sociale influence et participe aux discriminations sociales. Ce que refuse le magistère dans les recherches sur le genre, en réalité, c’est le dévoilement de l’infériorisation des femmes par rapport aux hommes.

C’est une impasse, mais les barrières commencent à craquer. Les femmes et les hommes partent sur la pointe des pieds. Le scandale de l’interdiction de communier des divorcés remariés oblige ce synode et ce pape à, au minimum, adoucir le principe premier de l’indissolubilité du mariage par un accueil renouvelé des divorcés remariés, en appliquant la formule scolastique philosophique et bien peu évangélique des principes seconds .

L’Église reste puissante, mais elle ne peut empêcher que le monde se dirige vers une mixité plus juste et moins obsédée par la différenciation sexuelle.

Conclusion

En confrontant les textes du magistère à ceux des évangiles comme nous l’avons fait dans notre livre, nous voyons qu’ils disent bien autre chose. Oui, dans les évangiles, nous voyons bien que Jésus défait le partage des rôles. La reconnaissance des femmes comme égales des hommes est l’une des révélations de l’Évangile : en commandant aux hommes de se mettre concrètement au service des autres dans le récit du lavement des pieds et en demandant aux femmes de prendre la parole et d’annoncer sa Résurrection, Jésus renverse l’ordre social de son temps.

Je pourrais commenter les annonces de la Résurrection et la première Église aurait pu confier le rôle de prêtres aux femmes… Mais non, ce n’est pas ce qui s’est passé, au contraire elles ont disparu dès les Actes des Apôtres. Ayant plutôt parlé aujourd’hui du couple pouvoir-service, je préfère commenter le lavement des pieds. Le message est le même : Jésus défait bien le partage des rôles. Dans la scène du lavement des pieds, Jésus explique le sens du service en accomplissant un geste féminin, dans un acte transgressif. Jésus ne raconte pas une parabole, il pose un geste fort : « Jésus se lève de table, dépose son manteau et prend un linge dont il se ceint. Il verse ensuite de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint » (Jn 13,4-5). Il dépose « son manteau », attribut du pouvoir royal dans l’Ancien Testament : il se défait symboliquement de son pouvoir. Il se ceint d’un « linge », attribut féminin du ménage et du service, il verse de l’eau dans un bassin, lave et essuie les pieds : autant de détails pratiques et concrets et de gestes réservés aux servantes et aux filles, la condition la plus basse de la maisonnée.

Le texte de l’Évangile rend ainsi les femmes symboliquement présentes dans cette scène. En côtoyant des femmes, Jésus a appris d’elles les actes indispensables au bien-être et à la vie : prendre soin, guérir, nourrir, laver, des gestes quotidiens, mais aussi les gestes d’accompagnement de la mort avec la femme au parfum. Il se met réellement à leur place. En reprenant à son compte les gestes d’attention et d’accueil des convives, il montre ce que veut dire aimer. Pour prendre la place du service, il a dû enlever son manteau. Exercer le pouvoir, ce n’est pas servir. Pour servir il faut se démettre de son pouvoir. D’un seul geste, il libère les femmes de leur déterminisme et indique aux hommes comment se défaire de leur pouvoir et de l’évidence que les femmes doivent les servir (infirmières, secrétaires, catéchistes, etc).

La transgression de Jésus qui accomplit des tâches dévolues aux servantes scandalise Pierre, qui refuse énergiquement: « Toi, me laver les pieds ! » (Jn 13,6), « Me laver les pieds à moi, jamais ! » (Jn 13,8). Il ne veut pas que ce Jésus qu’il admire s’abaisse à ce rôle très inférieur. Pierre symbolise l’incompréhension et la représentation qu’il a de lui et de Jésus. Il met en évidence le mépris que peut ressentir un homme face aux gestes accomplis habituellement par les femmes et le retournement commandé aux hommes par Jésus qui ne lui demande pas de comprendre tout de suite : « Ce que je fais, tu ne peux le savoir à présent, mais par la suite tu comprendras » (Jn 13,7). Il semble dire que du temps est nécessaire pour intégrer cette remise en cause des rôles traditionnels et cet échange des places. Effectivement il faut beaucoup de temps !

L’enjeu de la conversion au service demandée par Jésus à tout homme et toute femme est le bonheur : « Sachant cela vous serez heureux, si du moins vous le mettez en pratique » (Jn 13,17). L’éthique du service se vit au quotidien, dans des gestes simples. Ce n’est pas un horizon impossible à atteindre, mais une pratique à vivre, à la mesure de chacun, celle de l’un n’étant pas celle de l’autre. Il s’agit de mettre en application le commandement du lavement des pieds : descendre de sa hauteur, quelle qu’elle soit, se mettre au même niveau que l’autre, avec respect, dans la liberté et la réciprocité. Alors le service n’est plus vécu comme un sacrifice ou une obligation intériorisée, car, s'il est demandé à tous et toutes, ce n’est plus la servitude de la moitié de l’humanité pour l’autre, mais, bien loin de tout pouvoir, le lieu d’exercice de l’amour.