Le Déni
"Ils sont au pouvoir,
elles sont au service"

Golias Magazine novembre-décembre 2015 : Indissolubilité du mariage : Quand une métaphore devient doctrine

On attendait beaucoup d’un synode sur la famille concernant le sort des divorcés remariés qui sont privés de sacrements, à cause de la notion d’indissolubilité du mariage propre au langage catholique. Sur quels textes et quelle interprétation est fondée la doctrine catholique du mariage ? Revenons à l’origine d’une métaphore pour comprendre un blocage qui paraît insurmontable dans les esprits.

Pour commander la version papier n° 165

Indissolubilité du mariage : Quand une métaphore devient doctrine

On attendait beaucoup d’un synode sur la famille concernant le sort des divorcés remariés qui sont privés de sacrements, à cause de la notion d’indissolubilité du mariage propre au langage catholique. Sur quels textes et quelle interprétation est fondée la doctrine catholique du mariage ? Revenons à l’origine d’une métaphore pour comprendre un blocage qui paraît insurmontable dans les esprits.

Juste après le synode, évoquant sans la nommer l’indissolubilité, le cardinal Vingtrois a rappelé qu’« il n’a jamais été question de réformer la doctrine de l’Eglise. C’est même un point sur lequel il y a complète unanimité. » En effet, le pape François, lors de son audience hebdomadaire du 21 octobre 2015, a réaffirmé avec vigueur l’importance de cette notion en formulant cette prière : « Par l'intercession de Saint Jean Paul II, nous prions pour que le synode des évêques, qui va s'achever, rénove dans toute l'Eglise le sens de la valeur inégalable du mariage indissoluble. » Ce thème était d’ailleurs déjà présent dans le document préparatoire au synode dans deux sous-chapitres « L’indissolubilité, don et devoir » et « L’indissolubilité du mariage et la joie de vivre ensemble. »

L’indissolubilité est l’un des quatre points de passages obligés dans la préparation au mariage et elle doit figurer sur la déclaration d’intention que les futurs époux rédigent : « Dans ce document, vous vous engagerez également autour des quatre fondements du mariage chrétien : liberté, fidélité, indissolubilité, fécondité. » L’indissolubilité n’est-elle pas pourtant antinomique avec la notion de liberté quand il est demandé d’un côté “Vous sentez-vous totalement libre de vous engager ?” (notion de liberté) et de l’autre : “Exprimez vos raisons de vous engager pour toujours, sans conditions, en compagnie de Dieu” (notion d’indissolubilité). En d’autres termes, la liberté est-elle compatible avec le fait d’être obligé(e) sans condition ?

Le mariage catholique est donc considéré comme indissoluble en soi. Pourtant il peut être déclaré comme nul, une procédure ecclésiastique que le pape François souhaite simplifier, mais qui échappe à la décision des couples. Cette déclaration de nullité revient à dire que le mariage n’a pas existé (n’est-ce pas un non sens ?). L’une des causes de nullité du mariage est le fait de considérer que ce dernier n’aurait pas été consenti librement. En revanche, le fait que la fidélité ne soit pas respectée pendant le mariage n’est ni cause de nullité ni d’indissolubilité, alors que la fidélité est bien l’un des quatre fondements requis (autre contradiction) : « La tradition de l’Église primitive, qui se fonde sur l’enseignement du Christ et des Apôtres, affirme l’indissolubilité du mariage, même en cas d’adultère. »

L’indissolubilité agit comme un surmoi

En réalité, parmi « les quatre fondements du mariage catholique », seules la liberté, la fidélité et la fécondité concernent concrètement la vie des couples et leur capacité de décision, alors que l’indissolubilité leur est imposée de l’extérieur comme un surmoi. Elle reste un argument d’autorité et de contrôle des couples.

Elle conduit à considérer la personne qui se remarie après un divorce comme en état de péché, au point d’être privée de sacrements (alors que rappelons que ce n’est pas le cas pour une personne pédophile ou criminelle par exemple). De ce fait, le magistère semble avoir fait du divorce le plus impardonnable des péchés : « l’Église catholique réserva aux personnes divorcées et remariées un traitement particulier qu’elle n’étendit même pas aux fauteurs de guerre. Depuis longtemps, les plus graves péchés de l’humanité sont réputés se commettre dans les chambres à coucher et non sur les champs de bataille. »

Cette non-admission des divorcés remariés aux sacrements est l’un des plus graves reproches faits à l’Église ; elle reste incompréhensible pour une bonne partie des catholiques. Le synode avait prévu d’aborder cette question de l’accueil des divorcés remariés telle qu’elle était posée dans le document préparatoire : « La réflexion a porté sur la possibilité pour les divorcés remariés d’accéder aux sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie. Plusieurs Pères synodaux ont insisté pour maintenir la discipline actuelle, en vertu du rapport constitutif entre la participation à l’Eucharistie et la communion avec l’Église et son enseignement sur le mariage indissoluble. » D’où vient ce lien appelé « constitutif » entre les sacrements et le « mariage indissoluble » ?

Jésus dénonce l’injustice faite aux femmes

Quand dans un article de La Croix intitulé « Le mariage chrétien est-il indissoluble ? », le journaliste écrit que : « La condamnation par Jésus de la répudiation de l’épouse (Mt 19, 3-12) avec l’affirmation « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas », fonde la doctrine de l’indissolubilité du mariage (8) » — , il exprime la conviction unanime des évêques que le mariage est indissoluble et que cette indissolubilité repose sur les textes scripturaires.

Pour étayer cette doxa, le magistère fait toujours référence aux mêmes textes : Mathieu 19, 1-10 et Marc 10 1-12, dans lesquels Jésus est interrogé sur le fait de savoir s’il est permis de répudier sa femme et où il répond notamment en citant Genèse 2. Il s’agit dont d’une parole adressée aux hommes pour leur faire prendre conscience qu’ils sont dans une situation de domination par rapport aux femmes puisque la loi juive leur permet de répudier leur femme, la réciproque n’étant pas vraie. Jésus souligne cette asymétrie et rétablit une situation de réciprocité et d’égalité en rappelant la parole de la Genèse pour souligner le péché de domination des hommes sur les femmes : « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un (Genèse 2, 24). » Jésus ajoute : « Ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas. » Ce que Jésus demande c’est que les hommes ne jettent pas les femmes comme des objets dont ils ne veulent plus. Il pose la femme comme sujet au même titre que l’homme. Bien que la pointe de ces textes évangéliques soit la répudiation des femmes et la dénonciation de l’injustice qui leur est faite, le magistère continue de les interpréter comme une opposition de Jésus au divorce, alors que justement dans le texte de Matthieu, il est précisé au verset 9 : « Si quelqu’un répudie sa femme — sauf en cas d’adultère — et en épouse une autre, il est adultère. » Ce qui sous-entend que l’infidélité est une cause possible de séparation.

Anachronisme et incongruité de la notion d’indissolubilité au temps de Jésus

Commentant précisément ce texte de Marc au chapitre 10, dans l’homélie d’ouverture du synode, le pape parle directement de divorce et d’indissolubilité du mariage (deux notions anachroniques) là où le contexte parle de répudiation : « Jésus, face à la demande rhétorique qui lui est faite ­– probablement comme un piège, pour le faire devenir tout à coup antipathique à la foule qui le suivait et qui pratiquait le divorce comme réalité enracinée et intangible –, répond de manière franche et inattendue : il fait tout remonter à l’origine, à l’origine de la création, pour nous apprendre que Dieu bénit l’amour humain, que c’est lui qui unit les cœurs d’un homme et d’une femme qui s’aiment et qui les unit dans l’unité et l’indissolubilité. Cela signifie que le but de la vie conjugale n’est pas seulement de vivre ensemble pour toujours, mais de s’aimer pour toujours ! Jésus rétablit ainsi l’ordre qui était à l’origine et qui est origine. »

Le pape cherche donc dans les textes une preuve de l’indissolubilité du mariage et de son institution par Dieu lui-même, dans une interprétation qui est propre aux clercs catholiques et qui tire le texte vers un sens autoritaire. Faire tout remonter à l'origine, c'est faire croire que Dieu lui-même serait l’auteur du mariage catholique. Cette manière de faire est un mécanisme rhétorique qui gomme l’historicité du mariage, ce dernier étant une construction sociétale dans toutes les cultures. Jacques Musset a rappelé la complexité de l’histoire du mariage catholique institué comme sacrement seulement au XIIIe siècle.

Ce mot d’indissolubilité est donc parfaitement incongru dans le contexte de ces évangiles. Jésus ne l’a pas lui-même prononcé, pas plus qu’il ne parle du mariage ou même du divorce mais il se contente de répondre à une question légaliste. La question du mariage et de la famille n’est pas une obsession des évangiles, alors que l’Église catholique en parle constamment en soulignant toujours le caractère indissoluble du mariage. Ce mot d’indissolubilité est tellement important que le pape le reprend dans la conclusion de son homélie d’ouverture du synode : « l’Église est appelée à vivre sa mission dans la fidélité, dans la vérité et dans la charité. Vivre sa mission […] pour défendre l’unité et l’indissolubilité du lien conjugal comme signe de la grâce de Dieu et de la capacité de l’homme d’aimer sérieusement. »

Le véritable texte fondateur de la notion d’indissolubilité

En réalité cette évidence (« unité et indissolubilité ») repose sur la représentation d’un couple fusionnel (une seule chair) idéalisé comme sommet de l’amour humain et sur une référence scripturaire qui compare le mariage entre un homme et une femme à l’union du Christ et de l’Église dans l’épître aux Éphésiens au chapitre 5.

Dans l’encyclique que Jean-Paul II a consacré à la théologie de la femme, il déploie clairement cette comparaison paulinienne, au début du chapitre VII intitulé « L’Église, épouse du Christ, le grand mystère » : « Le texte de la Lettre aux Éphésiens […] compare le caractère nuptial de l'amour entre l'homme et la femme avec le mystère du Christ et de l'Église. Le Christ est l'Époux de l'Église, l'Église est l'Épouse du Christ.

L'alliance proprement dite des époux « explique » le caractère sponsal de l'union du Christ et de l'Église ; et cette union, à son tour, en tant que « grand sacrement », détermine la sacramentalité du mariage comme alliance sainte des deux époux, l'homme et la femme. »

Tout comme Jean-Paul II, le pape François commente cette référence : « Saint Paul, dans la Lettre aux Éphésiens, met en évidence que chez les époux chrétiens se reflète un grand mystère : le rapport instauré par le Christ avec l’Église, un rapport nuptial (cf. Ep 5, 21-33). L’Église est l’épouse du Christ. Voilà quel est leur rapport. […]. Les époux, en effet, en vertu du sacrement, sont investis d’une véritable mission, pour qu’ils puissent rendre visible, à partir des choses simples, ordinaires, l’amour avec lequel le Christ aime son Église, en continuant à donner sa vie pour elle, dans la fidélité et dans le service. » N’est-ce pas faire peser sur les épaules des époux une charge un peu lourde ? Le « grand mystère du mariage chrétien » dans la bouche des papes n’est pas la sexualité, comme on pourrait s’y attendre, mais bien le « rapport nuptial » entre le Christ et l’Église.

Éphésiens 5, une métaphore sexuée

L’auteur de l’épître aux Éphésiens écrit à une époque où personne ne remet en cause l’infériorisation des femmes et où il est évident que le mari est le chef (la tête) et la femme, soumise (le corps). S’appuyant sur cette doxa, il compare le couple mari-femme à un nouveau couple qu’il crée : le couple Christ-Église, cette dernière étant soumise au Christ : « femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur. Car le mari est le chef de la femme ; tout comme le Christ est le chef de l’Église, lui, le Sauveur de son corps. Mais, comme l’Église est soumise au Christ, que les femmes soient soumises en tout à leurs maris » (Ep 5, 21-24).

Dans un deuxième temps l’auteur de l’épître retourne la proposition et fait une seconde comparaison. C’est le couple Christ-Église qui est censé expliquer la relation entre l’homme et la femme : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église » (Ep 5, 25). En prenant le couple Christ-Église comme fondement de la relation conjugale, l’auteur théologise le mariage, le rapport Christ-Église étant conçu sur le modèle de la structure patriarcale de son temps, l’asymétrie entre l’homme et la femme.

Après avoir retourné l’analogie, l’auteur déploie la comparaison entre l’Église et la femme : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église, et s’est livré pour elle. Il a voulu ainsi la rendre sainte en la purifiant avec l’eau qui lave, cela par la Parole ; il a voulu se la présenter à lui-même splendide, sans tache ni ride, ni aucun défaut ; il a voulu son Église sainte et irréprochable (Ep 5, 25-27). » L’Église est présentée « sans tache ni ride », c’est-à-dire jeune. Cet imaginaire renvoie au système social du mariage, où un homme épouse une jeune femme vierge. L’auteur nous dit que Jésus-Christ lui-même purifie l’Église-femme.

Qu’y a-t-il derrière cette comparaison ? La croyance sexiste que la femme est impure en soi, mais qu’une jeune fille est pure, car vierge. Dans cette vision somme toute très sexuée, la femme est objectivée. L’Église naissante peut-elle être définie comme un corps de jeune femme soumis à l’autorité d’un époux qui serait le Christ et qui viendrait la sauver de son péché-impureté par son amour ? De plus, n’est-il pas absurde, sous prétexte que le mot « Église » est féminin, de faire comme si cette Église avait des caractéristiques féminines ? Si on suit cette logique, la casserole qui est elle aussi est un mot féminin aurait des caractéristiques féminines…

La comparaison paulinienne est un texte daté, sexué et machiste. La théologisation de cette comparaison et la vision de l’Eglise-Epouse-corps-féminin et du Christ-Époux-tête-masculin qui en découle prêtent à caution, particulièrement aujourd’hui où la relation conjugale ne se fonde plus sur l’autorité de l’homme et la soumission de la femme. Pourtant, ces images restent modélisantes ; elles sont toujours dans la tête de nos évêques.

L’imaginaire de pureté-impureté (sans tache ni ride) propage un système de valeurs apparemment cohérent et harmonieux. Avec, pour toile de fond, la domination de l’homme et le péché de la femme, les Pères de l’Église, puis le magistère ont développé à l’infini cette image du mariage jusqu’à aujourd’hui.

Le succès de la métaphore paulinienne est tel que cette dernière a imprégné durablement des générations de chrétiens. L’axiologie époux-épouse détermine des concepts aussi différents que le baptême, l’eucharistie, la croix, la prêtrise, la virginité, l’Église, Marie, le Christ… Dans le langage et la pensée catholiques, on assiste ainsi à un détournement du sens du mariage et du vocabulaire de l’épître aux Éphésiens, comme par exemple quand Paul VI parle du sacerdoce: « Le prêtre se configure plus parfaitement au Christ également dans l’amour avec lequel le Prêtre éternel a aimé l’Église son Corps, s’offrant tout entier pour elle, afin de s’en faire une Épouse glorieuse, sainte et immaculée. » À dire vrai, le système ecclésial tout entier semble pris dans la métaphore. Car si les prêtres « se configurent » au Christ Époux de l’Église, les religieuses aussi prennent le Christ pour époux. C’est un vocabulaire diffus qui contamine la réflexion, comme si se marier était un mot équivalent à celui d’aimer, et qu’on pouvait utiliser l’un pour l’autre.

Ce couple étrange Christ/Époux et Eglise/Épouse a créé un système de pensée que l’on n’interroge plus. Or le jeu des représentations ne marche plus. Avec la reconnaissance de l’égalité entre l’homme et la femme, qui peut encore admettre que l’homme symbolise le Christ et la femme, l’Église ? La comparaison entre le couple Christ-Église et le couple homme-femme devient embarrassante. De plus, le Christ ne s’est jamais positionné en chef et n’a pas demandé aux hommes ou aux femmes d’être en situation de soumission.

Une asymétrie entre hommes et femmes assumée par le pape

Pourtant le pape François continue de présenter l’analogie d’Ephésiens 5 comme essentielle pour comprendre le mariage chrétien. Ainsi dans une catéchèse sur la famille, le 6 mai 2015, voici comment il la commente : « Inspiré par l’Esprit Saint, Paul affirme que l’amour entre les conjoints est l’image de l’amour entre le Christ et l’Église. Une dignité impensable ! Mais en réalité, elle est inscrite dans le dessein créateur de Dieu (15). » Le pape renforce l’analogie d’Éphésiens 5 en utilisant un argument d’autorité « le dessein créateur de Dieu » qui ne démontre rien mais qui fait du mariage, vu sous cet angle, un horizon indépassable.

Le pape ne réalise pas qu’en continuant de soutenir cette comparaison, il ne fait que souligner l’asymétrie développée par le texte au détriment des femmes et il s’adresse ainsi aux maris : « Le mari — dit Paul — doit aimer sa femme « comme son propre corps » (Ep 5, 28) ; l’aimer comme le Christ « a aimé l’Église et s’est livré pour elle » (v. 25). Mais vous les maris qui êtes ici présents, comprenez-vous cela ? Aimer votre femme comme le Christ aime l’Église ? Il ne s’agit pas de plaisanteries, mais de choses sérieuses ! Le pape oublie qu’Éphésien 5 dit un peu plus haut “Femmes soyez soumises à vos maris (Ep 5, 22)”. » Ce qui éclaire la suite. Si le mari doit aimer sa femme comme son propre corps (à l’image du Christ vis-à-vis de l’Eglise), la réciproque n’est pas demandée aux femmes.

Les recommandations sont asymétriques, parce que le mari, lui, n’est pas le prolongement du corps de sa femme et que la femme est dans un rapport de soumission — le respect dû au mari — là où l’homme est dans un rapport d’autorité, de possession et dans l’amour de soi (« qui aime sa femme s’aime lui-même »). Le pape poursuit ainsi son commentaire : « L’effet de ce radicalisme du dévouement demandé à l’homme, pour l’amour et la dignité de la femme, à l’exemple du Christ, doit avoir été immense, dans la communauté chrétienne elle-même. » Il déduit donc de l’analogie d’Éphésiens 5 (qui réclame la soumission des femmes) qu’elle aurait été libératoire pour la cause des femmes, alors qu’en réalité elle a donné au patriarcat la force d’une doctrine.

De plus, le pape reprend cette métaphore invasive pour l’appliquer non seulement à chaque mariage mais aussi à l’histoire du Christ et de l’Église, et à l’histoire de la famille, dans une perspective moralisante : « acceptons-nous jusqu’au bout, nous-mêmes, en tant que croyants et que pasteurs également ce lien indissoluble de l’histoire du Christ et de l’Église avec l’histoire du mariage et de la famille humaine ? Sommes-nous disposés à prendre sérieusement cette responsabilité, c’est-à-dire que chaque mariage prend la route de l’amour que le Christ a pour l’Église ? » Il semble donc qu’ici tout se mélange dans une sorte de fourre-tout où finalement ce qui compte c’est de croire au mariage du Christ et de l’Église et donc au lien « indissoluble » entre l’homme et la femme.

En utilisant une fois de plus l’expression d’Éphésiens présentant l’Église comme une jeune femme sans tache, ni ride, irréprochable, il soutient un imaginaire misogyne où l’impureté est du côté féminin et où le masculin a le beau rôle: « Le Christ ne cesse de prendre soin de l’Église : il l’aime toujours, il la protège toujours, comme lui-même. Le Christ ne cesse d’ôter de son visage humain les taches et les rides de toutes sortes. » Or ce n’est rien d’autre qu’une comparaison qui attribue au concept “Église” un sexe dont découleraient ses caractéristiques.

D’où vient le fait que les divorcés remariés ne peuvent communier ?

Cette comparaison d’Éphésiens V qui théologise le mariage entre un homme et une femme permet de comprendre pourquoi la réflexion de l’Église achoppe sur le divorce et pourquoi elle refuse aux divorcés remariés l’accès aux sacrements. En 1981, Jean-Paul II redit la position du magistère : « L’Église, cependant, réaffirme sa discipline, fondée sur l’Écriture Sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés. » Pour le pape, la faute en incombe aux seuls divorcés : « Ils se sont rendus eux-mêmes incapables d’y être admis car leur état et leur condition de vie est en contradiction objective avec la communion d’amour entre le Christ et l’Église, telle qu’elle s’exprime et est rendue présente dans l’Eucharistie. Il y a par ailleurs un autre motif pastoral particulier : si l'on admettait ces personnes à l'Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l'Église concernant l'indissolubilité du mariage. »

Le pape affirme donc que le mariage entre un homme et une femme est de même nature que la « communion d’amour entre le Christ et l’Église ». Comme rien ne doit pouvoir séparer l’union du Christ et de l’Église, rien ne peut davantage séparer un mari de sa femme. C’est pourquoi le mariage est dit indissoluble. Jean-Paul II réitère ses propos en 1988 : « Le Christ est l'Époux de l'Église, comme Rédempteur du monde. L'Eucharistie est le sacrement de notre Rédemption. C'est le sacrement de l'Epoux, de l'Epouse. » Voila pourquoi les divorcés remariés ne peuvent communier.

Deux poids, deux mesures

Il est tout de même permis de s’interroger. En quoi l’amour conjugal représenterait t-il idéalement l’union du Christ et de l’Eglise plus qu’une autre forme d’amour ? Pourquoi pas l’amour filial ? L’amour fraternel ? Pourquoi pas l’amitié ? En aucune façon, Jésus ne compartimente les personnes ni les formes d’amour. Peut-on d’ailleurs les mesurer ? Et n'existe-t-il pas de multiples manières de s’aimer dans la vie conjugale ? Le magistère est dans le fantasme d’un amour conjugal fusionnel dont on connaît aujourd’hui les limites et les risques pour la personnalité de chaque membre du couple.

Par ailleurs, pourquoi le mariage est-il présenté comme l’union du Christ et de l’Église et déclaré indissoluble, — ce qui prive les divorcés remariés de sacrements — alors que le sacerdoce qui est aussi une union avec le Christ, ne l’est pas ? Un prêtre quittant le sacerdoce peut en effet accéder aux autres sacrements, y compris se marier. Pourquoi ne romprait-il pas lui aussi l’union du Christ et de l’Église ? L’intention des clercs n’était-elle pas de contrôler les couples, leur sexualité et le mariage, en ne s’appliquant pas à eux-mêmes la même loi ? Le magistère a construit un mythe à partir de métaphores. Le mythe devient une doctrine intangible où la notion d’indissolubilité semble claire et évidente car on oublie que la métaphore est une figure littéraire et non un fait. L’Église serait vraiment une Épouse. L’union de l’homme et de la femme représenterait vraiment celle du Christ et de l’Église.

Les catholiques sont à juste titre scandalisés par l’empêchement fait aux divorcés remariés d’accéder aux sacrements. Ils ne savent pas, pour la plupart d’entre eux, ce que recouvre l’indissolubilité. Faute de permettre aux divorcés remariés de communier, le synode a insisté sur l’importance de mieux préparer les couples au mariage et sur le caractère positif de cette préparation. Encore faudrait-il expliquer aux futurs mariés cette notion d’indissolubilité « surhumaine », fondée sur un texte patriarcal (Christ/Église - Époux/Épouse) qui ne fait plus sens aujourd’hui.

Ils disent, mais ne font pas

Le rapport final du synode n’a pas proposé de solution pour les divorcés remariés sinon l’accompagnement « pastoral » qui paraît encore très vague avec la « nécessité d’une pastorale de la conversion et de la réconciliation au travers de centres d’écoute et de médiation dédiés à mettre en place dans les diocèses » : « Le soin pastoral de l’Église envers les fidèles qui […] sont divorcés remariés, est inspiré par le regard du Christ, dont la lumière éclaire tout homme. »

En revanche, le rapport final rappelle que l’accès aux sacrements reste interdit mais il ne le dit pas ouvertement : « La discussion avec le prêtre, dans le for interne, concourt à la formation d’un jugement correct sur ce qui fait obstacle à la possibilité d’une participation plus pleine à la vie de l’Église et sur les étapes qui peuvent la favoriser et la faire grandir ». Il demande de plus que les divorcés remariés ne soient pas cause de scandale : « Les baptisés qui sont divorcés et remariés civilement doivent être davantage intégrés à la communauté chrétienne selon les différentes façons possibles, en évitant toute occasion de scandale. »

Tout en maintenant les interdits pour les divorcés remariés, les évêques se félicitent néanmoins d’être charitables envers eux et présentent l’indissolubilité comme un témoignage essentiel pour la foi et donc un verrou indépassable : « Pour la communauté chrétienne, prendre soin de ces personnes ne constitue pas un affaiblissement de la foi et du témoignage sur l’indissolubilité du mariage : au contraire, par cette attention justement, l’Église exprime sa charité. »

Dire qu’on va accompagner par la pastorale, n’est ce pas une manière de masquer les questions posées par le scandale du sort réservé aux divorcés remariés dans l’Église ? Ce qui compte en effet pour elle c’est de réaffirmer la doctrine de l‘indissolubilité. Les ouvertures sont-elles des ouvertures à partir du moment où cette doctrine ne change pas ?