Le Déni
"Ils sont au pouvoir,
elles sont au service"

Golias Magazine septembre-octobre 2016, L’Église et les droits des femmes,

Au moment où les droits des femmes sont remis en cause en différents endroits de la planète, notamment sous la poussée des religions, nous avons publié un dossier intitulé « L'Église et les droits des femmes », constitué de sept articles approfondis. À lire si l’on veut comprendre ce qui est en jeu au niveau politique international, dans un monde où le culte du chef, de la virilité et de l’autorité revient en force.

Pour commander le dossier en version papier : `

La femme a t-elle donc été créée pour aider l’homme masculin ? (p.21)
Pour lire le texte complet (lien à créer)
Les femmes sont définies par des récits et des mythes (p.24)
Pour lire le texte complet (lien à créer)
Le droit canon exclut les femmes (p.30)
Pour lire le texte complet (lien à créer)
L’égalité des sexes reste impensée dans l’Église (p.35)
Pour lire le texte complet (lien à créer)
Le combat de l’Église contre les droits des femmes (p.39)
Pour lire le texte complet (lien à créer)
Les dessous de la manif pour tous : la défense du patriarcat (p.46)
Pour lire le texte complet (lien à créer)
Vieilles filles, lapines, fraises, la rhétorique sexiste du pape françois (p.47).
Pour lire le texte complet (lien à créer)

La femme a t-elle donc été créée pour aider l’homme masculin ?

La rhétorique du pape François concernant les femmes et leur place dans le mariage, la famille et la société ne diffère pas de celle de ses prédécesseurs. Elle laisse apparaître le sexisme et le différentialisme qui structurent en profondeur la pensée ecclésiale.

Aides de l’homme, et servantes du Seigneur, le service demandé constamment aux femmes est en réalité une servitude. Le fait de le demander au nom de Jésus et à l’image de Marie en redouble l’efficacité et serre le nœud cet impératif imposé aux femmes et hérité de l’histoire. Il est temps de dé-patriarcaliser l’institution catholique et de revenir au message évangélique qui est au-delà des codes sociaux et qui contient des récits propres à nous faire sortir des schémas du masculin et du féminin : Jésus n’a pas eu peur de l’égalité.

L’institution catholique en est persuadée depuis deux millénaires. Le texte de la Genèse qui souligne l’asymétrie entre les sexes porte à l’évidence les mythes qui soutiennent la structure patriarcale des sociétés. Parler de la place des femmes dans l'Eglise revient donc à mettre au jour le patriarcat, — forme d’organisation sociale ou familiale qui met les femmes sous la tutelle des hommes.

« Dis-lui donc de m’aider » (Lc 10,40). Déjà, Marthe le disait à son ami Jésus, elle était au service, et sa sœur devait l’aider. Elle savait que sa place était là, la place de toutes les femmes ; sa sœur Marie ne pouvait donc s’y soustraire. Et Jésus devait la soutenir, que chacun et chacune tienne son rôle. Pour les femmes, c’est celui du service des autres. Marthe y tenait, pour elle comme pour les autres femmes.

La femme a t-elle donc été créée pour aider l’homme ? L’institution catholique en est persuadée depuis deux millénaires. La Genèse reste le texte fondateur de sa pensée. Jean-Paul II le dit explicitement dans sa lettre apostolique Mulieris Dignitatem : la Genèse « constitue la base immuable de toute l’anthropologie chrétienne. » Le pape y rappelle que la femme a été créée « par Dieu “à partir de la côte” de l’homme », pour être « une “aide” qui lui soit adaptée. » Le texte de la Genèse qui souligne l’asymétrie entre les sexes porte à l’évidence les mythes qui soutiennent la structure patriarcale des sociétés.

Parler de la place des femmes dans l’Église revient donc à mettre au jour le patriarcat, — forme d’organisation sociale ou familiale qui met les femmes sous la tutelle des hommes. L’Église ne se démarque pas des sociétés humaines, toutes fondées sur le patriarcat. Cet ordre social repose sur une violence primordiale : les femmes sont objets d’échange entre les hommes. Les sociétés s’organisent autour de la hiérarchisation des sexes intériorisée par toutes et tous, avec comme corollaires la domination masculine et l’infériorisation des femmes.

L’institution catholique a intégré, comme toutes les autres traditions, l’inégalité entre les sexes. D’une part, elle a fabriqué un genre féminin par des récits, des mythes et des représentations qu’elle a définis à partir de deux archétypes : Ève, tentatrice et coupable, et Marie, parfaite et sublime. La perfection de Marie, modèle pour toutes les femmes, est dans sa soumission. Le discours catholique sur les femmes les essentialise et les enferme toutes dans un destin identique : la vocation au service et à la maternité, à l’image de Marie servante et qui dit “oui”.

D’autre part, l’Eglise a fabriqué un genre masculin par son droit. Le pouvoir clérical appartient exclusivement aux hommes, les femmes en sont exclues. Depuis deux mille ans, les écrits de l’Église catholique sont uniquement des textes d’hommes. Le discours théologique est entièrement androcentré : la représentation de Dieu est principalement masculine et patriarcale, un Dieu père, fils et époux.

Tout en étant persuadée qu’elle a participé à l’émancipation des femmes, l’Église catholique, pour faire perdurer son système hommes-femmes bien différencié, mène en réalité une action géopolitique concrète de lutte contre les droits des femmes. Elle en a les moyens par son statut d’observateur permanent à l’Onu, ses représentations diplomatiques, son aura médiatique, sa force de lobbying. Alors que les instances internationales s’emparent du problème des discriminations, des violences faites aux femmes et de la question de l’égalité, comment l’institution catholique se situe-t-elle comme puissance politique, dans cet effort mondial pour plus d’équité et de progrès ?

Elle rejette les travaux sur le genre qui ont mis en évidence la construction sociale des sexes et les inégalités. Car elle s’est construite sur une différenciation des sexes et des rôles, nécessaire à son fonctionnement et elle continue de produire de nombreux discours aujourd’hui encore écrits exclusivement au masculin, avec une rhétorique bien précise pour dire en particulier aux femmes la place qu’elles doivent occuper. Ce faisant, elle fabrique des stéréotypes et des préjugés qui contribuent au maintien de l’infériorité des femmes.

Ses combats se focalisent sur le contrôle du corps des femmes : l’Église interdit toujours la contraception et l’avortement, même en cas de viol. L’appropriation du corps des femmes par les hommes est la base même du patriarcat le plus archaïque. Or l’égalité entre les sexes est aujourd’hui reconnue, si ce n’est dans les mentalités, au moins par le droit, et l’autonomie des femmes est en voie de réalisation dans une partie du monde.

Les lois de l’Église établies par des hommes célibataire et âgés continuent pourtant d’être intériorisées et soutenues par une large frange de catholiques, convaincus de détenir le meilleur modèle familial et ignorants des véritables enjeux : la défense du patriarcat et le refus de prendre en compte le bienfait de certaines évolutions sociétales comme l’acceptation de l’amour homosexuel et de l’égalité entre les sexes. Le mariage et la famille sont en effet deux sujet principaux du discours clérical depuis le Concile, mais l’un comme l’autre sont toujours vus sous un certain prisme ; ils sont qualifiés de « naturels » et « voulus par Dieu de toute éternité », alors que l’institution du mariage

Les femmes sont définies par des récits et des mythes

Le magistère catholique a beaucoup écrit sur les femmes, mais parmi l’immense corpus biblique, il revient inlassablement sur un petit nombre de récits qu’il traduit et commente systématiquement dans un sens infériorisant pour elles. Des Pères de l’Église aux papes les plus récents, une anthropologie différentialiste s’est mise en place.

Trois sources bibliques pour mythologiser les femmes

Le premier texte qui définit les femmes est le récit de la Création tel qu’il est raconté au deuxième chapitre du livre de la Genèse. La femme est créée pour aider l’homme après tous les animaux, en position seconde car elle est tirée de l’homme — ce qui est, au passage, une inversion de la biologie : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie » (Gn 2, 18). Commentant ce texte, Jean-Paul II y voit comme la preuve de la volonté de Dieu dès l’origine : « Depuis l’origine, donc, dans la création de la femme est inscrit le principe de l’aide. » Il existe un second récit de création, au chapitre premier du livre de la Genèse, où Dieu créé l’humain homme et femme simultanément mais ce n’est pas ce récit que les papes reprennent prioritairement.

Le deuxième texte servant de fondement à l’anthropologie catholique est l’Annonciation, qui modélise la soumission et le service pour toutes les femmes. Marie dit oui « fiat » à l’ange, un dialogue que l’on peut aussi lire comme une soumission féminine obéissant à une injonction masculine : « Et l’ange lui dit “L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre” (Lc 1, 35). » Ce à quoi Marie répond : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole » (Lc 1, 38). Une femme se soumet à la puissance masculine, en se définissant elle-même comme servante, scène plus banale qu’il n’y paraît. L’Eglise a fait de Marie servante, un idéal pour chaque femme et, de l’obéissance, une vertu particulièrement catholique.

Une troisième source de textes assigne les femmes au silence et à la maternité. Ce sont certains écrits de l’école paulinienne, en particulier la première épître à Timothée : « Pendant l’instruction la femme doit garder le silence en toute soumission. Je ne me permets pas à la femme d’enseigner ni de dominer l’homme. Qu’elle se tienne donc en silence. C’est Adam qui fut formé le premier. Ève ensuite. Et ce n’est pas Adam qui fut séduit, mais c’est la femme qui, séduite, tomba dans la transgression. Cependant, elle sera sauvée par sa maternité, à condition de persévérer dans la foi, l’amour et la sainteté avec modestie (1 Tm 2, 11-15). » Garder le silence en toute soumission, ne pas pouvoir enseigner, ni dominer l’homme, être créée en second, séduite et séductrice, première dans la transgression, sauvée par la maternité à condition de persévérer avec modestie : peut-on mieux décrire le statut de la femme pour des siècles ? La culture a été longtemps organisée sur ces bases : les femmes sont faites pour enfanter et servir.

L’injonction du service et de la maternité défendue par le discours ecclésial renvoie les femmes à une réalité : leur corps. Ce n’est pas la tête des femmes qui intéresse les hommes mais bien leur corps et cette appropriation de leur corps est un droit naturel des hommes. Les antiques affirmations pauliniennes sont encore effectives dans les mentalités : « Femmes soyez soumises à vos maris (Ep 5, 22) » ou encore « Le chef de la femme, c’est l’homme (1 Co 11, 3). » L’homme est la tête (« chef » est un autre mot pour dire « tête »), la femme, le corps.

Deux archétypes qui culpabilisent et essentialisent les femmes

L'Église a construit deux archétypes féminins, Ève et Marie, qui enferment les femmes dans des rôles, la sainte et la pécheresse, en les situant sur un axe bien/mal. Coincées entre un modèle dévalorisant, Ève, et un idéal sublime, Marie, les femmes se sentent toujours un peu coupables. Ève est pensée à partir de « son » péché, elle est associée au serpent, à la ruse, à la curiosité : des clichés qui alimentent le discours sur les femmes, envisagées spontanément comme séductrices et tentatrices. Ce modèle qui symbolise l’infériorité des femmes sert de matrice : la figure d’Ève, source du péché, est l'arrière-plan de leur culpabilisation.

La figure de Marie, vierge, vient restaurer celle d’Ève, pécheresse. Ce que Jean-Paul II dans une encyclique consacrée à « la dignité de la femme » résume ainsi : « En Marie, Ève redécouvre la véritable dignité de la femme, de l’humanité féminine. ». Il y aurait donc une dignité à retrouver pour les femmes, — la question ne se posant pas pour les hommes. L’idéal proposé en Marie est une sublimation de la condition de pécheresse des femmes.

L’Église catholique la nomme la « vierge mère » — sa virginité est indissociable de sa maternité — et elle donne ce modèle impossible à toutes les femmes. Il s’agit en réalité d’une double injonction car une vierge n’est pas encore mère et une mère n’est plus vierge. C’est pourquoi aucune femme ne sera jamais à la hauteur. Marie est un modèle inaccessible et donc secrètement dévalorisant. A la culpabilité, toujours latente, héritée d’Ève : « être née femme », s’ajoute celle de ne jamais pouvoir être comme Marie.

Le discours marial valorise faussement les femmes et masque en réalité leur infériorisation. Le contraste est saisissant entre la façon dont la tradition a reconstruit la vie de Marie et la pauvreté des références scripturaires. Sa présence enfle dans le discours et l’histoire de l’Église, en particulier au dix-neuvième siècle.

Le choix et l’utilisation de ces deux archétypes féminins font peser sur les femmes une culpabilité d’autant plus efficace qu’elle est le plus souvent intériorisée. Jean-Paul II écrit ainsi : « Ève et Marie se rejoignent sous le nom de la femme. » Ce faisant, le pape les essentialise, comme s’il existait un seul modèle de femme avec ses caractéristiques propres et attendues, et comme s’il y avait deux humanités distinctes, une masculine et une féminine.

Une rhétorique flatteuse et différentialiste

Le prétendu génie féminin, expression favorite des papes pour parler des femmes et qui déborde le cadre du catholicisme est lié aux qualités attribuées à la figure de Marie. En réalité, derrière l’expression laudative de « génie féminin », le service des autres et la maternité sont systématiquement glorifiés pour mieux cacher les injonctions faites aux femmes et souligner des caractéristiques spécifiques qui sont comme par hasard exactement complémentaires du confort de l’homme, qu’il soit mari, patron ou prêtre, et que le génie féminin soit culinaire, ménager ou amoureux. Cette expression met en réalité le cerveau et la vie des femmes dans la poche de leur tablier.

Les écrits du magistère catholique qui valorisent le génie féminin, la complémentarité des sexes ou encore la dignité des femmes diffusent les stéréotypes et les préjugés à travers ce qu’on peut appeler des mots masques. Car ce sont toujours les femmes qui sont les compléments des hommes (et non l’inverse). La complémentarité est l’argument de base des théocraties qui réservent un statut et un rôle à chacun et chacune dans la société.

Devant les évolutions de la société et l’acquisition des droits des femmes, l’institution catholique développe un discours différentialiste certes flatteur mais culpabilisant. Ce discours renforce la répartition des rôles entre les sexes. La parole, qui est la marque du pouvoir, est en particulier une appropriation masculine et les femmes restent silencieuses, à l’image de Marie qui « méditait les événements dans son cœur » (Lc 2,19).

Les femmes privées de parole dans l’Église

L’Église s’est structurée autour d’une parole exclusivement masculine : le droit canonique, les dogmes, les écrits des papes, les commentaires de l’Écriture jusqu’aux homélies dominicales. Si la pensée avait été partagée avec les femmes, elles n’auraient certainement pas produit autant d’écrits et de discours misogynes et elles ne seraient pas placées d’elles-mêmes en position secondaire. La hiérarchie des sexes sert d’alibi à l’Église pour conserver le monopole masculin de la parole : « Cela lui sert à justifier un fonctionnement qui organise en interne un monopole du pouvoir entre les mains des hommes, […]. Bien articulé sur de savants arguments théologiques mis au point depuis plusieurs siècles, il permet à l’institution de ne pas voir ce monopole et donc de ne pas avoir à le reconnaître. » Notre société est encore profondément marquée par ce fonctionnement. La parole publique est toujours majoritairement masculine.

Les conséquences de cette parole confisquée pour les femmes sont tragiques, car leur parole n’est pas vraiment attendue. Or, le langage permet d’advenir comme sujet et de s’exprimer en « je » ; les femmes n’ont pas la possibilité dans l’Eglise de parler, ni d’écrire. Leur parole est toujours subordonnée. Il suffit de penser au dernier synode sur la famille : ce sont toujours des paroles d’hommes.

Certes, depuis Vatican II, certaines femmes ont pu se former, faire le catéchisme, enseigner. Mais il ne faut pas que cela se voie trop. Elles ne sont généralement pas directrices, mais adjointes ; elles ne sont pas chargées de ministères, mais de services ; elles ne sont pas aumôniers en titre, mais accompagnatrices. Le fait de ne pas avoir accès au langage amène les femmes à se penser comme secondes.

La négation du message central de l’Evangile : la parole confiée aux femmes

Ces femmes secondes et secondaires au regard de l’histoire de l’institution jouent pourtant un rôle majeur dans l’annonce de la foi, en particulier dans les récits de la Résurrection. Il est remarquable que les quatre évangélistes aient tous mentionné le fait qu’elles étaient non seulement présentes au tombeau, mais surtout chargées de l’annonce centrale de la foi : l’ange rencontré au tombeau leur donne un commandement, qu’elles parlent : « Puis, vite, allez dire à ses disciples : “Il est ressuscité des morts”, et voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez” » (Mt 28,7). Jésus ressuscité libère les femmes de ce silence multiséculaire et les rassure sur leur crainte : « Soyez sans crainte. Allez plutôt annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée. C’est là qu’ils me verront » (Mt 28,10).

Comment les femmes, responsables de cette nouvelle centrale du christianisme, sont-elles accueillies par les disciples ? Les récits évangéliques diffèrent dans leurs points de vue. Marc et Luc notent que les disciples ne les croient pas. « Mais entendant dire qu’il vivait et qu’elle l’avait vu, ceux-ci ne la crurent pas » (Mc 16,9-11). Luc précise même l’identité des femmes : « C’était Marie de Magdala et Jeanne et Marie mère de Jacques. Leurs autres compagnes le disaient aussi aux apôtres. Aux yeux de ceux-ci, ces paroles semblèrent un délire et ils ne croyaient pas ces femmes » (Lc 24,9-11). Ces femmes, missionnées par le Christ, ont parlé mais leur parole disparaît du dispositif ecclésial, par la suite. Paul les gomme littéralement des écritures : « Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures. Il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois ; la plupart sont encore vivants et quelques-uns sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. En tout dernier lieu, il m’est apparu, à moi l’avorton » (1 Co 15,4-8). Il ne mentionne pas une seule femme ; cet oubli est significatif: les femmes ne sont pas audibles, elles doivent rester invisibles.

De la même manière, elles disparaissent dès le récit des Actes : « Dès les Actes des Apôtres, tout se passe comme si le message de la Résurrection était pris en main par les apôtres seuls. Les amies de Jésus disparaissent. […] Leurs voix se taisent. Leurs noms, leurs visages sont absents. Elles ne témoignent plus. Leurs noms et leurs visages sont absents. Le christianisme des apôtres inaugure une ère de silence féminin. » Par la suite, l’inflation du discours masculin clérical et dogmatique a empli l’univers et s’est approprié les Écritures.

Le genre féminin a donc été défini par des récits et des mythes — écrits, commentés, amplifiés par des hommes masculins — qui modèlent les comportements. Ces croyances sont aussi bien intériorisées par les hommes que par les femmes et elles nourrissent cette idée que les femmes sont fondamentalement différentes des hommes, ce qui légitime leur mise au service.

Le droit canon exclut les femmes

Depuis la réforme grégorienne, c’est-à-dire presque un millénaire, le droit de l’Eglise organise une séparation des sexes et des rôles qui légitime la supériorité des hommes. Ses mille sept cent cinquante-deux canons concernent principalement le genre masculin et discriminent naturellement les femmes, qui sont exclues de tous les rôles de pouvoir.

L’institution du pouvoir masculin

Le droit canon institue le masculin en excluant les femmes du sacrement de l’ordre : « Seul un homme baptisé reçoit validement l’ordination sacrée. » Comme il est bien précisé, seul un homme du fait de son sexe a le droit d’être prêtre, capable du sacré et proche de l’autel. Les femmes sont exclues, en creux, sans être nommées. Elles ne sont pas sujets du droit. La discrimination est silencieuse.

Ces quelques mots, « seul un homme » légitiment la hiérarchisation des sexes. Et de fait, quand les médias parlent de l’Eglise catholique, ils donnent à voir et à entendre tant d’hommes et si peu de femmes pourtant beaucoup plus nombreuses sur les bancs des églises et très actives pour la bonne marche de l’Eglise.

La norme est bien l’homme masculin, comme elle l’a été très longtemps dans nos sociétés. Les Églises chrétiennes sont toutes nées dans un contexte patriarcal. Or Jésus, dans les évangiles, défait le partage des rôles et ne s’adresse pas aux personnes en fonction de leur sexe. Ainsi, dans le célèbre récit évangélique, qui met en scène Marthe et Marie recevant Jésus chez elles, ce dernier dépasse la répartition traditionnelle des rôles féminin et masculin de son temps. Au contraire de Marthe qui appelle Marie en cuisine pour le service, il reconnaît à Marie le droit, traditionnellement réservé aux hommes de suivre son enseignement et reconnaît ainsi l’égalité d’intelligence entre les hommes et les femmes. C’est peut-être la teneur fondamentale de son message ce jour-là.

Deux mille ans après, l'Église catholique n’a toujours pas compris ce ferment subversif des textes qui fondent la foi chrétienne, alors que l’Occident se pose la question de l’égalité d’intelligence entre les sexes depuis l’humanisme et que les combats pour les droits des femmes qui ont accompagné les Lumières durent depuis plus de deux cents ans. Cette séparation entre les sexes, inscrite comme une évidence dans le droit canon autorise la domination d'un sexe sur l'autre : « Seuls les ordonnés [donc des hommes] sont capables d’exercer le pouvoir de gouvernement dans l’Église. » Les hommes se sont donc appropriés le pouvoir qui se décline de nombreuses façons : l’autorité et la parole (les femmes sont interdites de prononcer des homélies) ; le gouvernement de l’institution et le pouvoir de décision ; celui de rendre justice et de sanctionner, de condamner, d’excommunier ; celui de célébrer et de donner les sacrements, le pouvoir financier (la gestion des biens ecclésiaux est aux mains des hommes).

Le modèle du masculin est celui du chef

Dans l’institution, cette domination des hommes est manifeste. Ils occupent l’espace de la pensée, sont les seuls visibles et les seuls décisionnaires. On sait que les identités se construisent souvent sur des identifications symboliques. Le modèle du masculin, accepté par tous, même par les non catholiques, est celui du chef, incarné à son sommet par le pape, auquel les hommes peuvent s’identifier symboliquement. Il dirige une structure hiérarchisée qui va du servant de messe aux cardinaux, en passant par les diacres, les prêtres, les évêques. Les hommes reçoivent aussi une assignation, celle d’être du côté des chefs. Le pape en est l’incarnation concrète. Il est infaillible, il dirige, il est libre.

Cette supériorité du pape remonte au onzième siècle quand l’évêque de Rome affirme sa primauté sur les autres. La réforme grégorienne aboutit au Dictatus papae, qui proclame la théocratie pontificale en vingt-sept propositions affirmant les titres et l’autorité du seul pape : « Que lui [le pape] seul peut déposer ou rétablir des évêques ; Qu’il lui est permis de déposer des empereurs ; Que lui-même ne peut être jugé par personne. »

Le titre de souverain pontife était celui du grand prêtre païen que les empereurs avaient abandonné et que les papes ont récupéré au quatrième siècle, avec la même volonté d’universalisme, celle d’organiser le monde. L’Église catholique fonctionne encore sur ce modèle impérial romain. Cet imaginaire masculin de l’autorité et de la hiérarchie structure toujours les mentalités des hommes et des femmes.

L’abandon du pouvoir, un commandement évangélique

Dans les Évangiles, Jésus se défait de son pouvoir explicitement, comme dans la scène du lavement des pieds relatée dans l’évangile de Jean. Il se lève de table et dépose son manteau, insigne du pouvoir. Il se défait ainsi symboliquement de son pouvoir. Il prend un linge dont il se ceint, verse de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds de ses disciples. Le linge est l’attribut féminin du ménage et du service : Jésus reprend les gestes réservés aux servantes et aux filles, celles qui sont dans la condition la plus basse de la maison.

Il accomplit là une très grande transgression des codes sociaux de l’époque et Pierre ne s’y trompe pas. Il est scandalisé : « Toi, me laver les pieds ! » (Jn 13,6). Il ne veut pas que ce Jésus qu’il admire s’abaisse à ce rôle très inférieur. Pierre symbolise l’incompréhension masculine et met en évidence le mépris que l’ont peut ressentir face aux gestes accomplis habituellement par les femmes. Jésus ne lui demande d’ailleurs pas de comprendre tout de suite : « Ce que je fais, tu ne peux le savoir à présent, mais par la suite tu comprendras » (Jn 13,7). Il semble dire qu’il faut du temps pour intégrer cette remise en cause des rôles traditionnels et cet échange des places. Mais ce temps semble bien long dans une Église qui continue de valoriser la division sexuée des tâches et des fonctions. Prendre soin, nourrir, laver ces gestes féminins quotidiens sont les gestes testament de Jésus. En reconnaissant ce que font les femmes, il les libère de leur déterminisme et indique aux hommes comment se défaire de leur pouvoir, comment servir. C’est une prise de conscience, une conversion qui n’est pas accomplie dans l’Eglise catholique. Les femmes ne sont toujours pas autorisées à célébrer l’eucharistie, elles qui font pourtant la cuisine de tous les jours et nourrissent les autres.

Une société d’hommes où les femmes représentent un danger

Non seulement les femmes ne peuvent pas être prêtres mais elles sont évincées de la vie des prêtres. Après dix siècles pendant lesquels ils pouvaient être mariés, comme les apôtres eux-mêmes l’étaient (Mt 8,14), l’Eglise catholique leur impose le célibat au moment de la réforme grégorienne — ainsi que le précise ce canon : « Les clercs sont tenus par l’obligation de garder la « continence parfaite et perpétuelle » à cause du Royaume des Cieux, et sont donc astreints au célibat. »

Non seulement le droit canon rejette les femmes de la vie des prêtres, mais de plus, sans les nommer, le même canon dit que les femmes sont dangereuses et peuvent causer du scandale : « Les clercs se conduiront avec la prudence voulue dans leurs rapports avec les personnes qui pourraient mettre en danger leur devoir de garder la continence ou causer du scandale chez les fidèles. » Le doigt pointé sur les femmes masque une décision et une responsabilité qui appartiennent aux hommes (celle de rester célibataires). Les femmes sont devenues dangereuses parce que les hommes ont décidé d’être célibataires et non l’inverse. C’est une façon de protéger la société d’hommes et de rejeter la faute sur elles, avec la volonté que les hommes restent entre eux et que les femmes ne troublent en rien leur vie, les clercs formant ainsi une homosocialité.

De plus, les seules femmes autorisées sont les mères et les sœurs, comme le recommande Jean Paul II : « La condition de mère et celle de sœur sont les deux dimensions fondamentales du rapport entre la femme et le prêtre. » Le pape choisit les femmes sexuellement interdites sous peine d’inceste.

En organisant pour ses clercs une vie de célibataires, l’ordre sacerdotal ne crée pas seulement un monde sans femmes, mais également un monde sans sexualité autorisée. D’un clergé à sexe unique masculin, on en arrive à un clergé asexué. La sexualité masculine disparaît, avec toutes les conséquences que cela entraîne, la sexualité devant demeurer cachée, comme les récents scandales le soulignent. L’institution catholique fait donc comme si les prêtres n’avaient pas de sexualité. Parallèlement, le discours clérical a élaboré une théologie où Dieu est présenté comme un père qui engendre un fils, sans sexualité.

Un Dieu masculin de père en fils et un Christ époux

Dieu apparaît comme le principe masculin nécessaire à la conception de Jésus et il engendre un principe spirituel masculin : le Très-Haut engendre un Fils. Dans le récit de la conception de Jésus, l’ange Gabriel explique à Marie comment les choses vont se passer puisqu’elle est vierge : « la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera [...] appelé Fils de Dieu » (Lc 1, 35). Selon le Catéchisme de l’Église catholique, Jésus est « naturellement Fils de son Père par sa divinité, naturellement fils de sa mère par son humanité. » Il doit donc sa nature humaine et mortelle à sa mère, et sa nature spirituelle et divine à son père.

Le discours théologique de l'Église catholique est genré et sexué. Jésus est présenté, non seulement comme fils du père, mais aussi comme un époux, chef et sauveur de l’Église, elle-même vue comme une femme soumise. L’origine de cette métaphore remonte à saint Paul qui, dans l’épître aux Ephésiens, compare le mariage de son époque, où la femme était soumise à son mari, à l’union du Christ et de l’Eglise(2). Cette thématique époux-épouse a envahi le discours du magistère entraînant avec lui toute la pensée patriarcale qui le fonde.

Les représentations du Christ, comme chef et époux de l’Église, et celles de Dieu, comme père et fils, empêchent de penser le divin autrement qu'androcentré. Ce qui implique toute une conception de la société, au point que l’émergence des droits des femmes dérange l’ordre social que l’institution catholique a créé et dont elle a fait une vérité révélée : l’homme est chef, et implicitement la femme est soumise, à l’image du Christ et de son Eglise.

Le droit et la théologie de l’Eglise, ses récits, ses mythes aboutissent ainsi à une asymétrie entre les sexes qui peut se résumer ainsi : dominer ou sublimer. Le fait de déshistoriciser la supériorité masculine et de mythologiser la condition féminine permet de gommer la domination masculine et de mettre les femmes sous emprise. Or nous sommes en train de changer de système de représentation. La prise de conscience d’un arbitraire entre les sexes et des discriminations qui en découlent met l’institution catholique, tant qu’elle reste arc-boutée sur un droit canon millénaire et une théologie genrés, en porte à faux avec le reste du monde. Car les doxas sont aujourd’hui contredites par les études de genres et le nouveau paradigme de l’égalité qui est au fondement de l’évolution du droit international et des droits nationaux.

(2) Pour une analyse détaillée de cette métaphore sexuée, cf notre article « Indissolubilité du mariage, quand une métaphore devient doctrine », Golias Magazine n° 165, novembre-décembre 2015.

L’égalité des sexes reste impensée dans l’Église

Penser l’égalité des sexes permet de dépasser les questions de domination d’un sexe sur l’autre. Les principes d’égalité et de liberté ainsi que le principe de non discrimination sont inscrits dans la déclaration universelle de droits de l’Homme de 1948. Or le droit de l’institution catholique ne reconnaît pas ces principes et discrimine les femmes. C’est pourquoi le Saint-Siège, sûr de détenir les vérités éternelles, au lieu de se remettre en cause, garde, sa position de surplomb et rejette ce qui ne vient pas de lui.

La diabolisation du genre

Le préjugé selon lequel le féminin vaut moins que le masculin — ce que Françoise Héritier appelle la valence différentielle de sexes — anime toujours la pensée de l’Eglise mais aussi la société. Ce qu’exprime cette récente phrase de Jean-Paul II : « D’une certaine façon, la description biblique du péché originel dans le Genèse “répartit les rôles” qu’y ont tenu la femme et l’homme. » Ce type de phrase recueille et théologise la pensée patriarcale. On pense à la phrase de Jeanne Deroin, première candidate aux élections législatives de 1849 : « Et l’homme dit à la femme : Dieu le veut.» Depuis quelques dizaines d’années, les travaux sur le genre révèlent le mécanisme profond de ces préjugés. Ce qui est femme vaut moins et vaut mal.

Le travail sur le genre fait apparaître le formatage, la nécessité de se conformer socialement à des façons d’être et des attitudes attendues selon les sexes. Il permet de comprendre les stéréotypes (les hommes seraient « naturellement » doués pour le leadership et les femmes pour les fonctions d’auxiliaires). Il fait apparaître l’arbitraire de la division sexuée des rôles. Les idées toutes faites, les préjugés légitiment les violences multiples faites aux femmes, quelles qu'elles soient : économiques, financières, psychologiques, sexuelles, physiques…

Or le travail des sciences humaines qui a fait successivement apparaître l’injustice de l’esclavage, de la condition ouvrière, de la colonisation, du racisme, de l’homophobie et de la condition féminine, s’effectue majoritairement en dehors de l’Église catholique. Et celle-ci voit le changement de paradigme induit par la notion de genre comme une catastrophe contre laquelle il faut lutter et une menace. Le pape Benoît XVI condamne le genre sans réserve : « La profonde fausseté de cette théorie et de la révolution anthropologique qui y est sous-jacente, est évidente. »

La réflexion sur le genre fait tomber et des pans entiers de l’interprétation de la Genèse et révèle la discrimination flagrante du droit canon. Si le magistère prenait en compte la question de l’égalité entre les sexes, il devrait remettre en jeu sa propre structure de gouvernement, le système social qu’il a construit et reconnaître les inégalités et les injustices faites aux femmes. Au contraire, il se défend contre l’avancée des droits des femmes et utilise son statut international et son influence pour maintenir un système ancien patriarcal et contrer les avancées du droit.

Une autorité morale qui se pense supérieure aux autres

Le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques nombreuses et occupe une place importante dans les organisations internationales en particulier à l’ONU où il a le statut observateur permanent depuis 1964. Ce qui lui offre une vraie tribune, sa parole est écoutée et la personne du pape a une portée médiatique considérable.

Cette présence internationale permet ainsi à l’Église romaine d’accroître sa puissance d’influence, comme le souligne Pietro Parolin, actuel cardinal secrétaire d’Etat du Vatican : « Le rapport constant avec les autorités civiles, a été un facteur de développement historique du Saint-Siège. » Le Saint-Siège envisage ainsi sa fonction comme une « une autorité morale souveraine indépendante des États » « à partir de la conscience qu'il a d'être une Autorité super partes. » Il se pense au-dessus de toute instance, mais tient en réalité sa puissance et son sentiment de supériorité de l’imaginaire masculin du chef, de la conquête et du salut.

Un tour de passe passe : l’utilisation du concept de dignité

Mgr Parolin fait comme si la déclaration des droits de l’homme qui est au fondement du droit international reposait sur le seul concept de dignité : « nous avons mis l'accent sur la dignité de la personne humaine, comme fondement de tout l'ordre international et de son étroite corrélation avec la présence internationale du Saint-Siège. » Or il ne mentionne ni la liberté ni l’égalité qui sont les deux concepts clés de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »

Mentionner seulement la dignité permet de gommer le changement de vision qu’induisent les deux notions de liberté et d’égalité et de refuser de voir qu’elles sont des principes politiques de portée universelle permettant d’avancer ensemble contre l’essentialisation des différences. Pour le Saint Siège : « Cette antériorité et cette indépendance de la dignité de l'individu, et, plus concrètement encore, sa dimension transcendante, telle est la justification dernière de l'existence d'une Autorité morale souveraine indépendante des États. » Si l’on suit Mgr Parolin, le concept de dignité justifie la présence du Saint Siège à l’ONU.

L’aveuglement du Saint-Siège

Dans un discours plus récent, Mgr Parolin parle de nouveau de dignité et dit apprécier les efforts de l’ONU « en faveur de la paix mondiale et du respect de la dignité humaine, de la protection de la personne, notamment des plus pauvres ou des plus faibles, et du développement économique et social harmonieux ». Le Saint-Siège dit vouloir protéger les pauvres et les plus faibles. Le pape François parle beaucoup de lutte contre la pauvreté. Qui sont les plus pauvres et les plus faibles ? Ce sont les femmes qui sont les moins instruites, qui effectuent les deux-tiers du nombre d’heures de travail, produisent plus de la moitié des aliments, mais ne gagnent que dix pour cents du revenu total, possèdent moins de deux pourcents des terres et reçoivent moins de cinq pour cents des prêts bancaires.

Et ce sont encore elles les victimes des plus grandes violences, exploitées, mutilées, violées, frappées ou tuées. Selon les données de la Banque mondiale, le viol et la violence conjugale représentent un risque plus grand pour une femme âgée de 15 à 44 ans, que le cancer, les accidents de la route, la guerre et le paludisme réunis. Amartya Sen, Prix Nobel d’économie, estime qu’il manque aujourd’hui cent millions de femmes dans le monde, notamment parce que des centaines de milliers de petites filles meurent avant un an faute de soins.

Il y a donc urgence à défendre les pauvres et les faibles, c’est-à-dire à promouvoir l’égalité des sexes et en accordant les mêmes droits aux femmes qu’aux hommes. Un célèbre récit évangélique montre que Jésus n’a pas eu peur des femmes et qu’il n’est pas déterminé, dans ses rencontres, par la question du sexe ni du statut.

Jésus n’a pas peur de l’égalité : la rencontre avec la Samaritaine

La rencontre de Jésus avec la Samaritaine relatée dans l’Évangile de Jean peut être lue comme une parabole de l’égalité. Un dialogue se noue. Il réclame à boire, il demande à cette femme ce qu’elle peut lui donner et la rejoint dans son activité quotidienne, qui consiste à chercher de l’eau pour les autres. La Samaritaine ose lui dire qu’il transgresse un tabou : parler à une femme, qui plus est Samaritaine. Jésus lui parle d’égal à « égale » : la question de la différence des sexes, tout comme celle des peuples, n’en est pas une pour lui. L’échange est réciproque.

Le sujet dont ils parlent, l’eau, en est le symbole. Ils parlent non seulement de ce qui est indispensable à la vie de tous les jours, mais aussi à la vie spirituelle. Le rôle assigné à la femme, puiser de l’eau, s’échange même avec celui de Jésus qui propose de donner l’eau de la vie éternelle : l’eau fait vivre, la rencontre aussi.

La Samaritaine a eu cinq maris, mais Jésus ne la définit pas par son statut de « femme mariée ». La femme le reconnaît pour ce qu’il est, un prophète. Leur appartenance à une religion différente n’empêche pas le dialogue : leur foi respective les rapproche et le discours devient théologique. Jésus ne sous-estime pas son intelligence de la foi dont elle parle avec passion : « “Je sais qu’un Messie doit venir. Lorsqu’il viendra, il nous annoncera toutes choses.” Jésus lui dit : “Je le suis, moi qui te parle” » (Jn 4,25-26). L’identité des personnes est reconnue dans leur singularité, au-delà de toutes leurs différences, malgré tout ce qui les sépare. Parti de la vie quotidienne, le dialogue aboutit aux plus hautes réflexions sur Dieu, le Messie et, surtout, à la reconnaissance réciproque de leur humanité. Ce long échange met en scène le bonheur d’une rencontre fondée sur l’intérêt profond que chacun porte à l’autre. Nul besoin d’identité sexuée pour comprendre qui ils sont.

L’Évangile contient des récits capables de nous libérer des catégories hiérarchisées masculin-féminin, positif-négatif, supérieur- inférieur, propres aux sociétés patriarcales. La hiérarchie dans le genre a eu pour conséquence l’indifférence envers le sort des femmes.

La prise de conscience que la différence sexuée est somme toute relative, et que l’essentiel est l’humanité partagée permet de poser l’égalité comme base de relations et d'échanges. Aucune infériorisation, aucune dévalorisation. La fécondité de cette rencontre vitale fait de la Samaritaine un prototype de disciple de Jésus : « La femme alors, abandonnant sa cruche, s’en fut à la ville et dit aux gens : “Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ?” » (Jn 4, 28). La diabolisation du genre par l’institution, sa conviction d’être une autorité supérieure ou encore son déni de la situation réelle des femmes sont autant de moyens qui maintiennent le patriarcat et le pouvoir masculin exclusif dans l'Église, sous le couvert d’une morale en réalité déconnectée du message évangélique.

Le combat de l’Église contre les droits des femmes

L’évolution des droits des femmes leur a successivement permis d’accéder à l’instruction, à l’éducation supérieure, au droit de vote et à l’éligibilité, au marché du travail, à l’indépendance financière, à la contraception, à l’autorité parentale conjointe. On l’a oublié aujourd’hui, mais l’Église catholique s’est constamment opposée aux lois qui donnaient une autonomie aux femmes. Aujourd’hui, son effort principal est de lutter contre les droits sexuels et reproductifs des femmes.

Le corps des femmes, enjeu du pouvoir clérical

L’Église ne cède pas sur la question du contrôle du corps des femmes, qui est pourtant emblématique de leur autonomie. En France, la loi Neuwirth autorise la contraception depuis 1967 et la loi Veil l’interruption volontaire de grossesse depuis 1975. La position actuelle du Vatican, depuis 1968 et l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI, est de récuser tout moyen contraceptif autre que ce que le pape appelle l’observation des cycles de la femme : « Dieu a sagement fixé des lois et des rythmes naturels de fécondité qui espacent déjà par eux-mêmes la succession des naissances » et de condamner tout avortement, même en cas de viol et même si la vie de la femme est en danger.

Le Saint Siège considère donc que la décision des femmes ne leur appartient pas, comme le montre la crise du virus du zika qui provoque de graves malformations sur les fœtus. Au Brésil, on estime qu’un million cinq cent mille personnes sont atteintes et une femme meurt tous les deux jours d’un avortement clandestin, les plus pauvres étant les plus touchées. Devant ce problème de santé crucial, l’ONU a lancé une appel à libéraliser la loi sur les contraceptifs et l’avortement. Mgr Auza, observateur permanent du Saint-Siège a répondu à cet appel en prônant l’abstinence sexuelle.
Le pape a rappelé que « l’avortement n’est pas un mal mineur, c’est un crime. C’est un mal absolu.

Tuer pour faire disparaître l’autre, c’est ce que fait la mafia. » L’avortement est donc ici comparé par le pape aux procédés de la mafia. Cette rhétorique d’une violence extrême, qui fait passer les femmes pour des criminelles en bande organisée, fait peser sur l’ensemble d’entre elles une grande culpabilité, en exonérant les hommes de leur responsabilité dans toute grossesse. C’est une façon de réduire d’emblée la parentalité à la maternité, comme si les femmes étaient les seules responsables du fait qu’elles soient enceintes.

De plus, le magistère sait-il qu’un quart des demandes d’interruptions de grossesses sont dues à des viols ? Recommander de ne pas tomber enceinte n'a aucune utilité dans les pays qui interdisent ou limitent l'accès aux méthodes de planning familial, comme l’a souligné le Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme : « Le conseil adressé aux femmes de retarder la grossesse ignore le fait que beaucoup d'entre elles n'ont tout simplement pas le pouvoir de décider si, ou quand, elles veulent tomber enceinte dans un environnement où la violence sexuelle est monnaie courante. »

Cette affaire est dans la continuité de celle de Récife. En 2009, une fillette de neuf ans, enceinte de jumeaux suite à des viols répétés de son beau-père, avait été sauvée par l’équipe médicale qui l’avait avortée. Elle pesait trente-trois kilos et mesurait un mètre trente-cinq, rendant la grossesse et l’accouchement extrêmement dangereux pour elle. L’archevêque de Récife avait excommunié les médecins et la mère et souhaité rendre publique cette excommunication, sans pour autant excommunier le violeur.

Devant le tollé, le préfet de la Congrégation des évêques, Giovanni Battista Re, lui avait alors apporté son soutien : « le viol est moins grave que l’avortement. [...] Il faut toujours protéger la vie [...]. L’excommunication pour ceux qui ont provoqué l’avortement est juste. » On reste abasourdi que de hauts prélats de l’institution puissent cautionner, dans une même histoire, la pédophilie, le viol, l’inceste, la violence, la mise en danger de la vie d’autrui, même au nom de la vie à naître. Les prises de position successives du magistère contre la possibilité pour les femmes de choisir quand et comment donner la vie, reflètent une réelle indifférence à leur sort et leurs souffrances.

La rhétorique et le lobbying pour contrôler les femmes

Ce type de pensée selon laquelle il faudrait protéger la vie à naître au détriment de la vie même des fillettes et des femmes est proche des groupes pro-vie. Né aux États-Unis, en 1972, sous l’impulsion des évêques américains, avec le soutien du Vatican, ce mouvement a essaimé dans le reste du monde, en particulier en France, et pratique un lobbying important. Parler de pro-vie (pour la vie) a permis de passer d’une dénomination négative “anti” (anti avortements ou anti contraception), à une dénomination positive et valorisante. Cette rhétorique pro-vie a été d’une redoutable efficacité dans la lutte contre les programmes d’éducation à la contraception et contre l’avortement qui reste la « seule prise de position anti-droits des femmes encore audible » en Occident.

Le Vatican dénonce régulièrement « une mentalité contraceptive » « hostile à la vie » et « une culture de mort », amalgamant la contraception et l’avortement, alors qu’il s’agit de donner aux couples et en particulier aux femmes la capacité de décider d’être ou non parents, tout en sauvant un grand nombre de vies. En effet, une femme meurt toutes les neuf minutes d’un avortement clandestin. Il est tragique de penser que 220 millions de femmes n’ont pas accès à la contraception, que 40 % des grossesses sont non désirées dont la moitié est finalement interrompue, et que plus d’un quart des décès maternels pourrait être évité si les grossesses étaient préparées et voulues.

En 1994, la conférence internationale du Caire sur la population et le développement organisée par l’ONU posait précisément la question de l’éducation des filles, de l’accès à la contraception et de leur santé, à l’époque où plus d’un million d’entre elles mouraient, chaque année, en couches et plusieurs millions des suites d’avortements.

Cette conférence a consacré pour la première fois les droits sexuels et reproductifs comme leviers incontournables de l’émancipation des femmes et de l’amélioration de leur santé. En effet, les femmes et les adolescentes qui ont le contrôle de leur sexualité et de leur fécondité sont en meilleure santé.

Jean-Paul II prête pourtant alors aux Nations unies « une volonté délibérée d’imposer à l’ensemble des pays du monde, […] la libéralisation de l’avortement, la promotion d’un style de vie sans référence morale, la destruction de la famille telle que voulue par Dieu. » La délégation vaticane présente au Caire cherche et trouve un appui auprès des chefs religieux d’Égypte, d’Iran, du Soudan et de l’Arabie saoudite qui accusent les Nations unies de vouloir « répandre l’avortement, les relations sexuelles prémaritales et l’homosexualité » et fait partiellement échouer la conférence. Malgré son intense lobbying, le Vatican, s’il a pu retarder les avancées pour les femmes au Caire, n’a pas pu empêcher les acquis de la conférence de Pékin, en 1995 : une autre lecture des rapports entre hommes et femmes, désormais fondés sur la prise en compte du genre et davantage de pouvoir décisionnel donné aux femmes.

La violence systémique contre les femmes

Or, une contraception fiable facilite non seulement l’accès des femmes au travail et à l’indépendance économique, mais surtout fait perdre aux hommes de leur pouvoir sur elles. Ce qui éclaire d’un jour différent les raisons des interdictions répétées de la contraception par l’institution. Pour libérer les femmes, les batailles à livrer signifient : promouvoir leur éducation et en particulier leur donner accès à la contraception, à rebours de ce que propose le magistère. Mais aussi chercher à vaincre les violences conjugales, les meurtres, les viols, la prostitution et toute forme d’exploitation du corps des femmes. Sur ces points, on ne l’entend guère.
Danièle Bousquet, présidente du Haut conseil à l’égalité femmes hommes a récemment rappelé le continuum idéologique entre la lutte contre les stéréotypes de genre et toutes les violences faites aux femmes : « Les tentations conservatrices sont multiples et convergent toutes sur un point : la volonté de restreindre les libertés des filles et des femmes et l’obsession de maîtriser leur corps et leur sexualité […]. Sur la route de l’égalité, le prix à payer est encore dramatiquement lourd pour les femmes. Ce sont près de 1 500 femmes qui ont été assassinées en France par leur conjoint ou ex-conjoint depuis 2006. […] Ces violences massives appellent à une action publique décuplée contre le continuum des violences de genre qui va du sexisme ordinaire jusqu’aux violences conjugales et aux agressions sexuelles.

Outre les combats qu’il mène contre les droits de femmes à la contraception et l’avortement, le Vatican est actif pour défendre le mariage traditionnel et un modèle de famille dite naturelle.

Les pressions catholiques contre les évolutions sociétales

Le magistère de l’Église catholique voit le genre comme une attaque contre le mariage et la famille tels qu’il les conçoit. Ce qui explique son discours obsessionnel sur le couple hétérosexuel marié (qui n’a pas droit au divorce) et sur la famille, bien que paradoxalement, Jésus dans les Evangiles, ne fasse pas particulièrement la promotion ni de l’un ni de l’autre.

Ainsi, les couples catholiques actuels se trouvent pris entre deux conceptions : celle de la société, qui envisage la relation homme-femmes en termes d’égalité (autorité parentale conjointe, partage des tâches domestiques, vie professionnelle pour les deux) ; et celle de l’Église, qui n’a pas changé depuis des siècles, alors que les types de famille se diversifient En France, à l’appel de l’épiscopat, les catholiques sont ainsi descendus dans la rue fin 2012 et début 2013 pour dire leur opposition au mariage civil des homosexuels. Comme l’analyse Danièle Hervieu Léger : « Les argumentaires mobilisés par l’Église — fin de la civilisation, perte des repères fondateurs de l’humain, menace de dissolution de la cellule familiale, indifférenciation des sexes, etc. — sont les mêmes que ceux qui furent mobilisés, en leur temps, pour critiquer l’engagement professionnel des femmes hors du foyer domestique ou combattre l’instauration du divorce par consentement mutuel. » Ni le travail des femmes, ni le divorce ni la contraception n’ont apporté la fin de la civilisation, si ce n’est la fin de la civilisation patriarcale. En manifestant contre le mariage pour tous, les catholiques croient défendre des valeurs familiales, ils luttent pour le maintien d’un ordre social inégalitaire.

Les suites de ces mouvements d’opposition ont fait échouer les ABCD de l’égalité, expérimentation lancée à l’automne 2013. Cet outil pédagogique avait pour objectif d’apprendre l'égalité entre les garçons et les filles et d’atténuer les stéréotypes (ainsi que le prévoyait la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l'École). Le projet du gouvernement partait du constat des inégalités de traitement, de réussite scolaire, d'orientation et de carrière professionnelle entre les sexes, la divisons des métiers ne reposant pas tant sur les compétences que sur la construction sociale des sexes.

Ces luttes contre l’égalité ont été menées en brandissant des peurs, notamment celle de la confusion des sexes et des rôles. L’institution catholique défend une vision archétypale de la famille qui aurait été voulue de toute éternité par Dieu depuis la Genèse et ce faisant, se bat pour le maintien d’une éducation qui reste stéréotypée et discriminante pour les filles dès la petite enfance. Les garçons continuent d’être prioritairement éduqués à l’occupation de l‘espace public et à leur légitimation dans les rôles et les métiers du pouvoir. Les filles sont attendues dans certains métiers, ceux qui ont trait à la maternité et au services des autres. De ce fait, on les retrouve majoritairement dans les secteurs de la santé, de l’éducation, du secrétariat ou encore du ménage.

Les mouvements issus des rangs de la Manif pour tous défendent en réalité des valeurs patriarcales où chaque sexe reste à sa place. Le poids des injonctions sociétales pèse encore lourdement sur les femmes qui cumulent, pour la majorité d’entre elles, en plus de leur travail professionnel, le travail parental, domestique, le soin aux ascendants, le bénévolat dans les paroisses pour de nombreuses catholiques, comme si c’était leur destin.

La femme courbée ou l’émancipation des femmes

La femme courbée de l’Évangile est l’une de ces femmes portant le poids du monde et oubliées des autres. Jésus la reconnaît et il la relève : « Jésus était en train d’enseigner dans une synagogue un jour de sabbat. Il y avait là une femme possédée d’un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans ; elle était toute courbée et ne pouvait se redresser complètement » (Lc 13,10-11). On peut lire cet épisode comme la métaphore de la condition féminine, de la femme accablée par toutes les tâches qui lui incombent. Elle nous renvoie à la fatigue féminine, à ces innombrables femmes dont l’épuisement et la dépression se cachent bien souvent sous un mal de dos chronique. Elles en ont plein le dos, car elles en ont trop et font trop, et la douleur le leur rappelle quotidiennement. Pour la femme courbée, elle dure depuis dix-huit ans. Elle est l’image de la soumission et du travail subis.

Son infirmité fait que l’on passe à côté d’elle sans la regarder, ni lui parler. Pourtant, Jésus la remarque : « En la voyant, Jésus lui adressa la parole, et lui dit : “Femme, te voilà libérée de ton infirmité.” Il lui imposa les mains : aussitôt elle redevint droite et se mit à rendre gloire à Dieu » (Lc 13,12-13). En la relevant à hauteur de regard, il en fait une femme debout et libre. Libérée de son dos courbé, elle peut à son tour prendre la parole, rendre gloire à Dieu, regarder le ciel au lieu du sol et aller de l’avant.

Au lieu de s’en réjouir, le chef de la synagogue s’indigne du geste que Jésus a fait le jour du sabbat. Ce à quoi Jésus répond : « cette femme, fille d’Abraham, que Satan a liée voici dix-huit ans, n’est-ce pas le jour du sabbat qu’il fallait la détacher de ce lien ?” » (Lc 13,14-16). Pour le chef de la synagogue, le respect de la loi et de la tradition passent donc avant la santé et le bien-être de cette femme que Jésus a délivrée.

En l’appelant « fille d’Abraham », il la considère à égalité avec tous, une autre manière de la libérer. Et cette délivrance est plus importante que les règles et que la loi. Jésus, en son temps, a su se libérer de la loi. L'Église saura t-elle faire évoluer son droit canon ?

La femme courbée ou l’émancipation des femmes

L’institution catholique a construit un système de représentations où les hommes sont légitimement au pouvoir et les femmes « naturellement » au service et elle participe d’une vision du monde profondément intériorisée par les hommes comme par les femmes. Cette vision est illustrée dans l’Eglise par l’étrange couple « autorité papale /soumission mariale » et par des croyances qui font perdurer stéréotypes et discriminations.

Entre domination et sublimation, il existe une troisième voie, celle de la recherche et de la reconnaissance d’une humanité commune et des mêmes droits pour tous. Comme l’explique la théologienne catholique Alice Gombault : « l’État s’est donné des lois en ce qui concerne les femmes : loi sur l’égalité des salaires, non discrimination, loi sur la parité… Il n’y a plus d’obstacle juridique au plein épanouissement des femmes. Le sexisme s’attarde dans les mœurs, mais non dans les lois. En ce qui concerne l’Église, le sexisme est présent à la fois dans les lois et dans les mœurs. On en arrive à ce paradoxe que les valeurs évangéliques sont mieux mises en pratique dans la société civile que dans l’Église institutionnelle. »

L’Église catholique est de bonne volonté pour agir pour la paix et contre la pauvreté, et de nombreux catholiques sont fortement engagés dans ces combats. Mais tant qu’elle n’aura pas compris que l’amélioration de la condition des femmes est la clé de l’instauration de la paix pour le droit international ; tant qu’elle n’intégrera pas la rupture anthropologique majeure que constitue la maîtrise de la fécondité et l’accès des femmes aux fonctions identiques à celle des hommes, y compris aux fonctions de pouvoir, elle restera un frein puissant à l’évolution des droits des femmes.

Elle a reconnu la démocratie, après l’avoir combattue, même si elle ne l’applique pas en son sein. Elle a dû évoluer sur le principe de laïcité. Elle a tacitement accepté le travail des femmes hors du foyer et s’appuie même sur un important travail bénévole des femmes pour le fonctionnement des paroisses. Elle est en train d’évoluer sur la question de la pédophilie en son sein, même si elle le fait sous la triple contrainte médiatique, judiciaire et financière.

Elle devra faire évoluer son droit canon, abandonner sa position de surplomb, mettre fin à la supériorité masculine et à la division des rôles selon les sexes, changer sa vision du monde pour rejoindre les efforts de l’humanité sur le chemin de l’égalité entre les hommes et les femmes. Alors seulement, on peut espérer qu’elle ratifie un jour la convention internationale pour l’élimination de toutes les discriminations envers les femmes.

Les dessous de la manif pour tous : la défense du patriarcat

Les catholiques se sont mobilisés contre le mariage pour tous et pour défendre la famille en 2013. Était-ce vraiment la question ?

La décision de fonder une famille ne dépend plus seulement aujourd’hui de la représentation symbolique du mariage. Plus d’un enfant sur deux naît en dehors du mariage et la courbe n’est pas prête de s’inverser (55, 8 % en 2011). Près d’un mariage sur deux se termine en divorce et la tendance est à l’inflation (44,7 % en 2011). Plusieurs millions d’enfants vivent déjà dans une famille recomposée ou dans une famille monoparentale.

Le « mariage pour tous » est une acceptation de la réalité : celle des couples homosexuels et des situations familiales déjà nombreuses où le vide juridique entraînait des souffrances chez les enfants comme les adultes. La loi cherche aussi à protéger juridiquement les liens de parenté. Elle n’empêche ni ne change le mariage hétérosexuel.

Qu’ont défendu les catholiques en luttant contre cette loi ? Ils croient en un ordre social constitutif de notre société et dérivé du droit romain, mais qu’ils pensent de toute éternité. Ils manifestent pour la famille et cette croyance les rassemble.

Ils n’ont pourtant jamais manifesté pour la défense de la vie des femmes, à la base de la famille, en dénonçant le viol, les menaces, les coups, les meurtres au sein même des familles : « Ces cinquante dernières années, plus de femmes ont été tuées parce qu’elles étaient des femmes, que d’hommes ne l’ont été sur les champs de bataille du vingtième siècle. » En France, une femme sur dix est violée, deux meurent tous les trois jours sous les coups de leur compagnon ou conjoint, avec comme victimes collatérales de nombreux orphelins. Que d’innombrables femmes soient humiliées, violées ou tuées ne dérange pas plus que cela l’ordre de la société, catholiques compris.

Cet ordre est hérité d’une société patriarcale qui fonctionne ainsi depuis des millénaires ; il est aujourd’hui encore défendu par les forces religieuses. L’ordre n’est-il pas à changer quand il produit autant de violences contre la moitié féminine de l’humanité ? Ne peut-on imaginer une autre société où les filles et les femmes pourraient vivre sans crainte et risque permanent d’agressions de la part des hommes ? Les manifestations de résistance au mariage pour tous ont révélé ce qui est enfoui : la peur de la différence en particulier homosexuelle et paradoxalement le désintérêt envers la vie réelle des femmes. En défendant un modèle patriarcal porteur d’injustice, les catholiques ne se sont-ils pas trompés de combat ?

Vieilles filles, lapines, fraises, La rhétorique sexiste du pape François

Dès l’apprentissage de la parole, les différences entre les sexes s’installent dans la langue comme des évidences. Elles ne sont pas remises en cause, du fait de la confiance que nous mettons dans le langage. Ce dernier porte le sexisme et l’infériorité des femmes sans que, la plupart du temps, nous ne nous en rendions compte. Le pape François n’échappe pas à cette règle, lui qui, pour qualifier les femmes, aligne les stéréotypes en veux-tu en voilà, qui révèlent un sexisme profondément ancré.

Dans le langage, la plupart des mots ne veulent pas dire la même chose selon qu’ils sont employés au masculin ou au féminin. Ainsi, un péripatéticien est un élève d’Aristote, une péripatéticienne, une prostituée. Un courtisan est un proche du roi, une courtisane a pour rôle de partager la couche du roi. Un homme public fait de la politique, une femme publique fait le trottoir. Un professionnel est un homme compétent, une professionnelle, une prostituée. Un maître est un professeur, une maîtresse, une femme adultère. Un homme facile est agréable à vivre, une femme facile est une femme légère. Un entraîneur travaille avec des sportifs, une entraîneuse travaille en boîte de nuit. Un chien est un animal à quatre pattes, une chienne est une femme à la sexualité débridée. Un cochon est un homme sale, une cochonne désigne tout autre chose. Un allumeur allume le gaz, une allumeuse allume tout autre chose,…

Le langage ne valorise donc pas les compétences des femmes mais les réduit à des êtres sexués et vénaux : elles sont des corps à disposition des hommes. Il est particulièrement inventif pour dénigrer l’intelligence des femmes. De nombreuses images mentales péjoratives pour les femmes encombrent nos cerveaux et n’ont pas d’équivalent masculin comme la bavarde, l’hystérique, la fofolle, la gourde, la greluche, la bécassine, l’oie blanche, la cruche,…

Le langage ne se contente pas de moquer l’esprit des femmes, il déborde d’imagination quand il parle de leur sexualité, systématiquement rabaissée et associée et à une mauvaise conduite : les gourgandine, bagasse, catin, Marie-couche-toi-là, morue, pouffiasse, poule, fille de joie, ribaude, roulure, traînée, femme de petite vertu... n’ont pas de masculin non plus. Le féminin déprécie tout, en particulier le sexe et l’intelligence des femmes, et finalement toutes leurs actions.

La moquerie est le premier marqueur du sexisme. Le pape est un très bon exemple de cet imaginaire dépréciatif sur les femmes. Les images qu’il prend pour parler d’elles les réduisent à leur dimension sexuée et sont souvent méprisantes, sous le couvert de l’humour ou de leur valorisation.

Les vieilles filles et les belles-mères

S’adressant au début de son pontificat aux représentantes de l’ensemble des sept cent mille religieuses, le pape François leur fait la leçon : il leur demande une « chasteté féconde » comme « signe du monde à venir » : « Mais, s’il vous plaît, une chasteté “féconde”, une chasteté qui engendre des fils spirituels dans l’Église. La personne consacrée est mère, elle doit être mère et non pas “vieille fille”.»

Demander à des religieuses qui ne peuvent précisément ni se marier ni être mères, d’être des mères à la chasteté féconde, c’est appuyer là où cela fait mal car nombre d’entre elles ont fait le sacrifice d’une vie familiale. C’est de plus, leur reprocher ce que l’Église elle-même leur demande. Le pape use d’un langage paradoxal particulièrement cruel. Traiter ces femmes, qui dirigent des communautés, exercent des responsabilités et des métiers variés, de « vieilles filles », c’est faire preuve de mépris.

Répondant à une question sur le diaconat féminin, le 12 mai 2016, lors d’une nouvelle audience des religieuses de l’Union internationale des supérieures générales, le pape a fait une nouvelle comparaison sexiste : « Quelqu’un pourra dire que les ‘diaconesses permanentes’ dans la vie de l’Eglise sont les belles-mères. » Son intervention a été accueillie par des rires de l’assistance, preuve que le sexisme reste un moteur important pour faire rire facilement, y compris celles dont il se moque, à savoir les religieuses qui justement aspirent à d’autres responsabilités dans l’Église. On sait bien que l’image de la belle-mère comme celle de la vieille fille est à connotation négative. Cette comparaison ridiculise a priori la fonction de diaconesse. Et le pape renforce le sexisme en répondant à une question qui allait pourtant à l’encontre du sexisme, en souhaitant ouvrir le diaconat aux femmes.

Les lapines

Admonestant une femme enceinte de son huitième enfant après sept césariennes, le pape lui a enjoint de pas se comporter comme une « lapine », une comparaison particulièrement dévalorisante, et l'a accusée d'« irresponsabilité » : « J’ai fait des reproches à une femme, enceinte du huitième après sept césariennes : "Vous voulez laisser orphelin sept enfants !", lui ai-je dit». « L’exemple de cette femme, c’est de l’irresponsabilité», a-t-il estimé. « Elle dit : "j’ai confiance en Dieu". Mais Dieu te donne les moyens pour être responsable. Certains croient, excusez-moi du terme, que, pour être bons catholiques, ils doivent être comme des lapins. »

Alors que le magistère interdit toujours la contraception, le pape demande à cette femmes une chose et son contraire : ne pas prendre de contraception, mais ne pas avoir trop d'enfants. En maniant la double injonction, il se pose en surplomb. A cette femme qui exprime sa foi et croit bien faire en obéissant aux injonctions de l’Eglise, il répond en évoquant implicitement la méthode Ogino, moyen qui serait donné directement par Dieu, et qui est la moins efficaces des méthodes de contraception.

Les grand-mères infécondes

Invité à s'exprimer devant le parlement européen, le pape a comparé l’Europe à une grand-mère fatiguée, vieillie et inféconde : « Aux yeux de François, l'Union européenne donne « une impression générale de fatigue et de vieillissement », l'image d'une « Europe grand-mère et non plus féconde et vivante. »

Si l'Europe est une « grand-mère », elle a eu des enfants et des petits-enfants, elle n'est donc pas inféconde. C’est une contradiction dans les termes. En réalité, derrière ce genre de cliché sexiste, on trouve l'idée qu'une femme ménopausée n'est plus jeune, ni belle, ni désirable, ni « féconde ni vivante » pour reprendre les mots du pape. Cet imaginaire renvoie même très probablement, dans la tête des clercs, à un texte précis qui a connu une fortune sans précédent (Ep 5, 25-27), où l'Église est vue comme une jeune fille avant son mariage « sans tache ni ride ni aucun défaut » c’est-à-dire vierge et « pure ».

Le pape, qui est lui-même un vieil homme célibataire sans enfants ni petits-enfants, donc infécond, ne se prive pas d’utiliser une métaphore sexuée, dénigrante pour les femmes, pour l'Europe et pour les grand-mères. Il suffit d'inverser la proposition pour s'en rendre compte. Aurait-il eu l’idée de comparer l’Europe, un continent ou un pays, à un grand-père qui ne serait plus ni fécond ni vivant ? Et pourtant les médias reprennent en boucle cette comparaison, preuve de l'ancrage de ce type de comparaison sexiste dans l'inconscient collectif.

Les fraises

Constatant le manque de théologiennes, devant une commission théologique internationale essentiellement masculine, le pape a lancé : « Les femmes sont comme les fraises dans un gâteau, il en faut toujours plus. » Les fraises, c'est rouge, luisant, doux, sucré, consommable et décoratif ; c'est du plaisir et du superflu, comme les femmes ?, a-t-on envie de lui demander. Utiliser un vocabulaire sexuel et machiste pour faire de l’humour, c’est encore une fois se moquer des femmes, qui plus est théologiennes. Pourquoi quand le pape parle des femmes, est-ce toujours sous leur aspect biologique et sexué ou sous l’aspect du plaisir ? Pourquoi la femme reste-t-elle toujours déterminée à partir de son identité sexuelle alors que cet aspect n’intervient jamais dans son discours sur l’homme ? Celui-ci n’est en effet jamais défini selon la prédisposition de ses organes.

Les repasseuses

Dans une interview un tantinet hallucinante, le pape nous explique le sort qui attend les femmes dans le mariage. Pour aider une mère à convaincre son fils de se marier, il lui donne le conseil d’arrêter le repassage pour que sa future femme s'en charge : « [Aujourd’hui], les jeunes ont un fiancé, une fiancée, mais ne se marient plus. Une mère me demandait : « Père, qu’est-ce que je peux faire pour que mon fils qui a trente-deux ans se marie ? ». « Madame, il faut d’abord qu’il ait une fiancée ». « Mais il a une fiancée, mais ne se marie pas ! ». « Eh bien si il a une fiancée et qu’il ne se marie pas, ne lui repassez plus ses chemises, et vous verrez qu’il se mariera ! ».

Dans cette conception du mariage catholique, le pape nous dit explicitement que la femme se met au service du mari et que l'homme se marie pour trouver une femme de ménage (comme les curés en leur temps ont eu leur bonne ou l'ont encore). Il ne s’agit pas ici d’amour mais de repasser des chemises.

Le modèle familial selon le pape date en réalité des années cinquante et soixante où son imaginaire semble s’être arrêté. Dans une catéchèse sur les familles, lors d’une audience générale, il généralise son expérience personnelle familiale à la terre entière en insistant toujours sur le repassage : « À Nazareth tout semble arriver « normalement », selon les habitudes d’une pieuse et travailleuse famille israélite : on travaillait, la maman faisait la cuisine, faisait toutes les choses de maison, repassait les chemises... toutes les choses que fait une maman. Le papa, menuisier, travaillait, apprenait à son fils à travailler. »

Passons sur l’anachronisme du repassage par Marie des chemises de Joseph et Jésus et sur la valorisation du rôle du père qui apprend un métier à son fils. Les futures petites filles n'ont pas une planche à repasser in utero pour leur apprendre leur futur métier de repasseuse immaculée et de mère qu'elles ne deviendront pas toutes d'ailleurs. Ce sont des tâches et des rôles qu'on leur assigne. Le partage des tâches domestiques et parentales est bénéfique pour les couples, qui divorcent moins, quand toutes les activités du foyer ne reposent pas sur les épaules des seules femmes, études à l’appui. Continuer à prôner la division sexuée des tâches et la mise au service des femmes, c’est en conséquence pousser statistiquement les couples au divorce.

Des êtres faibles à protéger

Le pape poursuit dans cette même catéchèse sa vision patriarcale de la famille : « Il n’est pas difficile d’imaginer combien les mamans pourraient apprendre des attentions de Marie pour ce fils ! Et combien les papas pourraient retirer de l’exemple de Joseph, homme juste qui passa sa vie à soutenir et défendre son enfant et son épouse – sa famille ! – dans les moments difficiles ! »

Si les femmes étaient des êtres faibles par nature devant être protégées par les hommes, dans la vraie vie, nous aurions moins de violences envers elles alors que c'est le contraire qui se produit. De nombreux hommes, de nombreux maris, de nombreux pères sont violents. Et bien souvent ce sont les femmes qui protègent et défendent les enfants. Des êtres faibles les femmes, vraiment ? En Afrique ce sont elles qui accomplissent la majorité des travaux dits de force.

Le culte de la mère

Interrogé, après l’attaque contre Charlie Hebdo, le pape François a livré sa pensée sur la liberté d’expression en faisant une comparaison avec sa propre mère : « Si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision. »

Que vient faire la mère du pape dans cette galère ? Il semble dire qu’insulter sa mère serait la même chose que blasphémer. Il pose une drôle d’équivalence : protéger sa foi et protéger la mère seraient une seule et même chose. Quel est le rapport de la mère avec la foi ? En quoi les mères ont-elles besoin d’être protégées par les fils sinon dans les systèmes patriarcaux ? Serait-ce l’image subliminale de Marie qu’il faudrait défendre ? Le pape défend ici donc davantage le système patriarcal que sa foi dont il ne parle pas. Car le patriarcat consiste à garder les femmes sous la tutelle des hommes.

De plus, le pape parle de donner un coup de poing pour répondre à une insulte et il en est fier « c’est normal » ajoute t-il. La réponse par la violence qui plus est sur « un grand ami » serait donc la norme.

La plus belle chose que Dieu ait créée

En répondant à une interview sur la place des femmes au sein de l’Église, François s’est ainsi exprimé : « Les femmes sont la plus belle chose que Dieu ait créée. L’Eglise est femme, l’Eglise est un mot féminin. » Le pape ne répond pas à la question mais évoque le mythe de la Genèse : Dieu a créé les femmes. Croyant être valorisant, il les qualifie de « belle chose », en réalité il les objectivise et les essentialise. Les femmes auraient-elles donc été créées pour être belles et donc pour le bonheur des yeux des hommes ? Ce type de remarque révèle l’androcentrisme et le sexisme du discours.

Définir la place des femmes dans l’Église revient à affirmer que le mot « Église » est un substantif féminin. Donner un sens symbolique à un substantif du seul fait qu’il est féminin ou masculin en grammaire est absurde. Si l’on suit cette logique, la virilité qui est un mot féminin est donc « féminine », « la virilité est femme ».

Dans ces expressions « l’Église est féminine », « l’Église est femme », on trouve de nouveau le texte d’Ephésiens, au chapitre 5, où Paul compare l’union de la l’homme et de la femme à celle du Christ et de l’Eglise. D’où cette croyance que l’Église serait femme.

Le pape considère toujours les femmes comme des mineures puisqu’il aime particulièrement leur faire la leçon. L’ancrage du différentialisme catholique est tel qu’il n’a rien à dire d’autre sur les femmes si ce n’est aligner des stéréotypes sexistes, Toutes ces comparaisons empêchent l’institution de penser l’égalité et de réfléchir à son archaïsme : son organisation sociale reste hiérarchique, monarchique et masculine.