Le Déni
"Ils sont au pouvoir,
elles sont au service"

Université féministe de l’Assemblée des femmes, octobre 2019 Masculinistes et antiféministes : Qui sont-ils ? Où se cachent-ils? Quels sont leurs réseaux ?

Quels mécanismes de contrôle des femmes, de leur corps et de leur vie sont-ils à l’œuvre dans les religions ? Comment ces dernières influencent-elles les politiques et les lois ? Extraits d’une intervention d’Agnès de Préville “L’imaginaire catholique antiféministe ou comment faire taire les femmes à l’ère de Meetoo ?”. Pour retrouver le texte complet :
p. 79 à 86 (Actes de la 27e université de l’Assemblée des femmes, janvier 2020)

Le masculin clérical a institué la religion à partir de la supériorité masculine.

L’institution catholique semble un très bon exemple pour comprendre les ressorts de l’antiféminisme, car les papes se sont posés en virilistes, en chefs et ont théorisé depuis des siècles cet antiféminisme qui nourrit un imaginaire encore actif dans nos sociétés.

Qu’est-ce qu’est le magistère catholique romain, sinon un flot ininterrompu de paroles d’hommes pour assigner aux femmes un rôle spécifique, combattre leur autonomie, contrôler leur corps et finalement décider de leur vie ? Le discours des papes successifs est bien celui de la domination des femmes depuis deux mille ans.

La hiérarchie catholique érigée en homosocialité mène aujourd’hui des combats politiques contre l’égalité femmes/hommes, en défendant à tout prix la complémentarité sexuée, pour maintenir son emprise sur les sociétés, contrôler les consciences et les sexualités. MeToo dans l’Église, ça n’est pas pour demain, pas de scoop. Pour autant, la parole commençant à se libérer à différents échelons de la société, l’Église est rattrapée et débordée par de très nombreux scandales liés au pouvoir et au sexe.

La hiérarchie catholique s’est constituée comme un gigantesque boysclub, premièrement en instituant cette supériorité du masculin. Le sexe masculin dans la religion catholique s’est attribué un triple monopole : le sacré, le pouvoir, la parole. Cette domination est inscrite dans le droit qui est appelé « droit canon », largement ignoré des catholiques et qui agit comme un discours structurant, mais caché. Il régit la vie de l’Église, il institue le pouvoir masculin en excluant les femmes du sacrement de l’ordre sans justification. Il crée une caste, celle des clercs, et il hiérarchise les sexes.

Ce droit canon octroie donc au seul masculin la capacité de pouvoir et de gouvernement. Il instaure cette supériorité masculine et la double d’une dévalorisation des femmes, car il interdit aux clercs de se marier en transformant leur célibat en faute des femmes, puisqu’il dit d’elles qu’elles sont dangereuses, qu’elles peuvent causer du scandale. Et il présente ce danger comme sexuel.

La parole étant la marque du pouvoir, l’institution a structuré son système autour d’une parole exclusivement masculine : des dogmes, des écrits de théologie, des commentaires sur l’écriture, jusqu’aux homélies du dimanche qui, vous le savez, ne peuvent pas être prononcées par des femmes. Cela explique pour partie le blocage de la prise de parole des femmes dans l’Église à l’ère de MeToo.

La parole étant la marque du pouvoir, l’institution a structuré son système autour d’une parole exclusivement masculine : des dogmes, des écrits de théologie, des commentaires sur l’écriture, jusqu’aux homélies du dimanche qui, vous le savez, ne peuvent pas être prononcées par des femmes. Cela explique pour partie le blocage de la prise de parole des femmes dans l’Église à l’ère de MeToo.

Les clercs sont donc une société d’hommes, cette exclusion des femmes permet la constitution d’un entre soi masculin, une caste sans femmes, sans problème de femmes, ni de famille, ni d’enfant, une homosocialité dont le fondement est cette supériorité masculine évidente et non justifiée. Les prêtres et les évêques vivent dans un système vertical et hiérarchique, selon un droit qui leur est propre.

L’imaginaire masculin est lié à l’exercice du pouvoir : gouverner, décider, enseigner, célébrer, occuper l’espace public. Le pape est un prototype de chef et les hommes catholiques ont intériorisé ce modèle de la supériorité incarné par la hiérarchie. Les clercs se sont approprié ce pouvoir au détriment de toutes les femmes, c’est une sorte de boys’club où le masculin prend aussi la figure de Dieu. Parce que non seulement le droit légitime la supériorité masculine tout en dévalorisant les femmes, mais le discours clérical sacralise aussi le masculin en ayant élaboré une théologie où Dieu est présenté comme un père qui engendre un fils.

Que font les papes pour réagir au féminisme ? Ils ont choisi d’accuser et de dénigrer les femmes, ils interprètent ce changement en désignant les femmes comme les rivales des hommes et ils avancent tous les mêmes arguments. Exemple avec le futur Benoît XVI qui écrit : « La femme pour être elle-même s’érige en rivale de l’homme. Aux abus de pouvoir, elle répond par une stratégie de recherche du pouvoir ». Vouloir s’émanciper pour les femmes, ce serait donc vouloir dominer les hommes. La motivation cachée des papes est bien de garder le pouvoir.

La misogynie est tout autant à l’œuvre dans le langage, les images que prend le pape François pour parler des femmes. Dans une lettre du 21 novembre 2016 aux catholiques, il identifie le péché, donc le mal, au féminin en donnant l’exemple, d’abord d’une femme adultère, puis celui d’une femme prostituée. En revanche, ce qui se rapporte aux hommes est du côté du salut et de la miséricorde. L’exemple qu’il choisit pour illustrer le péché est l’avortement. Une condamnation qu’il a répétée à plusieurs reprises, en comparant l’avortement à un crime ou au recours à un tueur à gages, des procédés dignes de la mafia et encore plus récemment, à des procédés dignes des nazis.

Le pape désigne donc le corps des femmes comme le lieu même du mal à combattre et le contrôle du corps des femmes est bien l’enjeu du pouvoir clérical. En conséquence, l’Église catholique continue de lutter activement contre leurs droits sexuels et reproductifs. Pour rappel, cela fait cinquante ans, depuis la publication de l’encyclique Humanæ vitæ, que la position du Vatican est de récuser tout moyen contraceptif, de condamner l’avortement même en cas de viol, même en cas d’inceste et même si la vie de la femme est en danger.

Comment le patriarcat ecclésial se maintient-il et se défend-il face aux évolutions de la société, face à l’acquisition des droit s des femmes et à ceux des minorités ?

La défense du patriarcat ecclésial se réclame d’abord d’une anthropologie différentialiste. Différencier le féminin du masculin est l’étape qui permet de masquer leur hiérarchisation et l’Église l’a bien compris. Elle instrumentalise la biologie de la reproduction pour justifier et définir les différences de comportements entre les rôles et les sexes. Elle défend ce modèle différentialiste qu’elle appelle une anthropologie, qui en réalité est une ontologie. Car ce modèle se fonde sur un récit des origines, celui de la Genèse, dont la fixation par écrit se fait entre le VIIe et le Ve siècle avant Jésus-Christ. En réalité, l’Église veut ériger en vérité universelle l’interprétation qu’elle fait d’un récit mythique.

Ce différentialisme se traduit aujourd’hui par des pratiques masculinistes explicites très en vogue depuis les années 2000/2010 où la mixité est remise en cause à travers, par exemple, des propositions de stages ou des retraites à destination exclusive des hommes. Ou encore des pèlerinages différenciés pour les pères et pour les mères de famille. En plus de ces stages de virilisation, certains groupes catholiques proposent des thérapies de conversion pour les homosexuels. Vous le savez, la mission parlementaire sur les pratiques prétendant modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre a pour objectif de faire interdire ces pratiques, qui peuvent aussi conduire au suicide

Depuis qu’existent les études de genre, le Vatican sentant le danger a élaboré une rhétorique spécifique pour renforcer sa pensée différentialiste et naturaliste. Jean-Paul II commence son pontificat qui va durer vingt-six ans, par cinq ans d’enseignement obsessionnel autour du mariage, de la complémentarité des sexes et des rôles, de la famille dite “naturelle”. Tous ces thèmes seront la base idéologique de ses écrits futurs. Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger, le futur Benoît XVI, qui travaillent main dans la main pendant des années, ont été les théoriciens de la réaction. Ils ont encadré le clergé et ils ont favorisé les communautés nouvelles et traditionalistes.

On a vu fleurir des expressions antiféministes devenues très populaires chez les catholiques comme : “génie féminin”, “complémentarité des sexes”, “égalité dans la différence”, “nouveau féminisme“. Le mot emblématique de ce combat rhétorique reste celui de “dignité”, car il permet de masquer celui d’égalité. Lors de la conférence de Pékin, en 1995, « le Vatican a même demandé que l’expression ‘‘dignité humaine” remplace celle de ‘‘droit humain des femmes’’. »

Ce travail contre le genre débuté dans les années 1990 aboutit en 2003 à la publication du Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques. Il a surtout popularisé et inventé deux expressions “la théorie du genre” et “l’idéologie du genre” reprises avec succès par les médias et entretenant toutes les peurs. Ce discours se présente comme un travail pseudo-scientifique alors qu’il s’appuie toujours sur la Genèse.

Le pouvoir de l’Église se vit et s’exerce dans une homosocialité, un entre-soi masculin depuis deux mille ans. Ce système est ébranlé par les évolutions sociales et les révélations de mensonges. Cette crise interne à l’Église rejoint la remise en cause de la domination masculine dans le monde et accélère le délitement de l’institution. Son droit canon qui instaure la supériorité masculine n’est plus défendable aujourd’hui.

Formés et construits sur un déni général de la sexualité et sur leur supériorité sacramentelle et intellectuelle, les clercs n’ont plus de discours aujourd’hui pour affronter ces multiples réalités. La cohérence de l’institution est en train de s’effondrer, mais son influence politique demeure et sa puissance financière aussi.

Le type de masculinité que représente la hiérarchie romaine est en réalité toxique. Il exerce une grande violence symbolique contre les femmes en les infériorisant, en les culpabilisant, en leur donnant comme vocation le service des autres et la maternité, en les faisant taire et en luttant contre les lois égalité.

Le masculin clérical qui agit comme un gigantesque boys’club détourne le regard de ses propres turpitudes, en continuant de désigner le corps de femmes comme le lieu du mal et en ne leur donnant toujours pas la parole. Les activistes anti-IVG cherchent eux aussi à faire taire l’autodétermination des femmes. L’appropriation de la parole reste la clef de la domination masculine, parce qu’elle lui réserve tous les pouvoirs.

L’Église aurait intérêt à remettre en cause sa propre pensée de la domination, en particulier son interprétation de la Genèse, selon laquelle les rôles sont définis et distribués dès l’origine entre l’homme et la femme. Il est à souhaiter que la libération de la parole atteigne les catholiques et que les femmes catholiques qui font une grande partie du travail dans l’Église se mettent en grève, comme cela a pu se passer cette année, en mai et en juin, en Allemagne ou en Suisse.