Le Déni
"Ils sont au pouvoir,
elles sont au service"

Colloque du 22 avril 2017 à l’Université Paris-Diderot La menace du féminin : Fantasme ou réalité ?

Psychanalystes, historiens, spécialistes des religions, cinéastes,… ont tenté de réfléchir à la haine d'un féminin ressenti comme angoissant car menaçant quand il n’est pas obéissant. Extraits de notre communication intitulée
Du mythe d’Ève à aujourd’hui : menace du féminin ou danger pour les femmes ?

La culpabilisation des femmes, mécanisme de leur emprise

L’Église catholique est encore dans le schéma d’un masculin qui domine le féminin, qui doit rester à sa place de douceur et d’attention à l’autre, toute autre attitude des femmes étant a priori vécue comme dangereuse. La culpabilisation des femmes depuis la Genèse est le mécanisme nécessaire à leur soumission et à leur l’emprise.

Rendre les femmes coupables par des archétypes féminins

La culpabilisation des femmes est le mécanisme principal de leur emprise. La Tradition a élaboré des récits et des mythes pour indiquer aux femmes les places qu’elles doivent occuper et, pour ce faire, elle a construit deux archétypes féminins : Ève et Marie.

Ève ou l’invention du péché, figure de la souillure et de la honte

Ève est pensée à partir de « son » péché, elle est associée au serpent, à la ruse, à la curiosité : des clichés qui alimentent toujours le discours sur les femmes envisagées spontanément comme séductrices et tentatrices. Ce modèle, qui symbolise l’infériorité des femmes, sert de matrice : la figure d’Ève, source du péché, est l’arrière-plan de leur culpabilisation.
Commentant la Genèse, l’épître de Paul à Timothée affirme l’évidence du lien entre la femme et le péché : « Et ce n’est pas Adam qui se laissa séduire, mais c’est la femme qui, séduite, tomba dans la transgression » (1 Tm 2,14). L’Église s’engouffre dans cette interprétation de la culpabilité originelle des femmes qui dure depuis deux mille ans.

Marie, une figure faussement valorisante

À cette supposée dangerosité des femmes, s’oppose la figure de Marie, présentée comme l’antithèse d’Ève et indemne de tout péché. Le pape Pie IX la compare à « une terre vierge, dont aucune tache n’a même effleuré la surface, une terre toujours bénie, libre de toute contagion du péché » ; « un bois incorruptible que le péché, ce ver rongeur, n’a jamais atteint. »
L'Église présente la virginité de Marie comme indissociable de sa maternité : elle est la vierge mère. Or une vierge n’est pas encore mère et une mère n’est plus vierge. C’est pourquoi aucune femme ne sera jamais à la hauteur de Marie, modèle inaccessible et donc secrètement dévalorisant. À la culpabilité, héritée d’Ève : « être née femme », s’ajoute celle de ne jamais pouvoir être comme Marie.
Ève et Marie enferment les femmes dans les rôles de pécheresse ou de sainte et les situent sur un axe moral bien/mal. Coincées entre un modèle dévalorisant et un idéal sublime, les femmes se sentent toujours un peu coupables. ll ne s’agit pas seulement de les rendre coupables, mais aussi de les faire obéir.

Faire obéir les femmes : l’ambiguïté du consentement
Oui est la seule parole autorisée pour les femmes

La seule parole qui leur est demandée est une parole consentante. Lorsque Marie répond à l’ange Gabriel : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole », l’Église présente son consentement comme le sommet de la foi. Or l’adjectif consentant « ne se dit guère que des femmes » et il révèle une asymétrie. C’est toujours le plus faible qui consent, quelles que soient les raisons de sa faiblesse.
Sans le consentement à leur destin de servir et d’enfanter, la soumission des femmes ne tiendrait pas dans la durée. Le consentement de Marie permet de faire de l’obéissance et de la soumission une seule et même vertu, donnée en modèle pour toutes les femmes. Ces paroles de l’Annonciation ont tellement imprégné l’inconscient collectif qu’il est extrêmement difficile de s’en libérer. Car les raisons de consentir sont complexes et cachées comme la force de l’habitude,la peur d’être critiqué, le désir de bien faire, mais encore le besoin d’appartenance et l’injonction de service.
C’est pourquoi, apprendre à dire non est difficile pour les femmes et peut les mettre en danger, car elles sortent alors de la norme sociale.

Mettre au service

Parce que les femmes ont intériorisé leur infériorité et leur soumission, elles acceptent de se mettre au service. Pour théoriser la mise au travail des femmes, l’Eglise s’appuie sur des récits-sources comme le récit de l’Annonciation mais encore sur le récit de Genèse 2. La femme y est créée pour aider l’homme : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie. » Commentant ce texte, Jean-Paul II y voit la preuve de la volonté de Dieu dès l’origine : « Depuis l’origine, donc, dans la création de la femme est inscrit le principe de l’aide. »
Nombre d’écrits de l’école paulinienne sacralisent, eux, l’infériorisation des femmes : « Qu’elle porte un voile ! L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme. Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme mais la femme de l’homme. Et l’homme n’a pas été créé pour la femme mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance ». Paul est le premier à avoir théologisé le voile comme marque de la soumission des femmes aux hommes et elle passe par leur silence.

Faire taire les femmes par tous les moyens

Non seulement il s’agit de rendre les femmes coupables, de les enjoindre à l’obéissance, mais aussi il s’agit aussi de les faire taire et par tous les moyens.

Les femmes des corps sans tête

Dès les premières assemblées de chrétiens, Paul dicte aux femmes leur comportement : « que les femmes se taisent dans les assemblées : elles n’ont pas la permission de parler ; […]. Si elles désirent s’instruire sur quelque détail, qu’elles interrogent leur mari à la maison ». Paul dénie aux femmes le droit à la parole et il rappelle que, dans le mariage, le silence est la marque de leur soumission. Ce n’est pas la tête des femmes qui intéresse les hommes.
Comme le souligne encore saint Paul « Le chef de la femme, c’est l’homme. » L’homme est la tête : « chef » est un autre mot pour dire « tête ». La femme n’est qu’un corps subordonné, privé de tête, donc d’intelligence, de pensée et de parole.
L’Église reviendra sans cesse sur ces premiers textes pour justifier la structure domination-soumission, homme-femme, pouvoir-service ; parole-silence.

Les femmes qui parlent sont punies

Le bon féminin se tait. Il dit oui, à l’image de Marie. Si les femmes transgressent ce tabou du silence, elles sont punies, comme Ève, pour avoir osé parler. Parce que, comme femmes et non clercs, nous avons écrit un livre, nous avons été censurées et dénigrées dans un journal comme Le Point qui a présenté les bonnes feuilles de notre livre, assorties d’une tribune sexiste, violente et vulgaire rédigée par un philosophe catholique. Extraits : « sans beaucoup de style ni d’intelligence » « troncage » « chiqué », « ventriloquie », « grosses ficelles » « lèvres qui bougent » (Le Point, n°2156, 9 janvier 2014, p.113).
L’auteur se permet même un assemblage méprisant et douteux : « Mieux vaut une bonne fille d’Ève qu’un mauvais prélat ». Et nous voici encore une fois renvoyées au mythe d’Ève, présumées mauvaises et coupables, comme toutes les femmes et qui n’ont droit ni au pouvoir ni à la parole.

Les femmes privées de parole dans l’Eglise

Dans l’Église, le fait de ne pas avoir accès au langage amène les femmes à se penser comme secondes, de manière quasiment réflexe et à s’autocensurer. Dans les attitudes attendues d’elles, tout comme dans les qualités qui leur sont attribuées : la modestie, la discrétion et le silence. La question posée par ce colloque pourrait cacher les véritables menaces qui pèsent sur les femmes. Qui menace qui réellement ?